Monétique en Algérie: les raisons d’un malaise

À l’heure où la monétique n’est toujours pas ancrée dans la culture et l’esprit même du citoyen Lambda, il n’est pas possible de prétendre à la digitalisation au sens propre du terme.

Pour ce faire, la transition du fiduciaire vers la monétique est un passage obligé, une passerelle indispensable qui permettra à l’utilisateur de se familiariser avec ce concept sur le plan psychologique principalement. Un obstacle qui subsiste, non pas par réticence à l’innovation technologique, sachant que les chiffres démontrent que la mutation technologique est bien accueillie par les Algériens, la familiarisation se fait sans équivoque, à voir l’utilisation d’internet smartphone et la panoplie qui s’ensuit, cela parait logique, sans pour autant avoir utilisé par le passé le Minitel ou le Bipeur.

A partir du moment où l’avancée technologique ne constitue pas un obstacle pour les Algériens, qui sont plus de 37 millions d’utilisateurs d’internet mobile et dont 50% annonceraient adopter la 5G une fois disponible (enquête menée par Ahmed Reda Berrah, architecte du ConsumerLab d’Ericsson), une soif technologique existe bel et bien, il est donc clair que l’anxiété ne vient pas de là, mais plutôt de multiples facteurs.

Parmi ces causes, la passivité des banques, GIE Monétique, pouvoirs publics à vulgariser les produits de la monétique (carte CIB, DAB, TPE), conclusion faite à travers l’absence de communication entre les banques, leurs clients et l’abstention des associations de protection des consommateurs qui joueraient le rôle de partie garante, certificatrice, mais aussi médiatrice en cas de litiges à ce sujet adossée à une publicité qui, récemment encore, est limitée à des affiches visibles une fois à l’intérieur des banques.

Autre critique faite aux banques surtout publiques, celle de ne pas avoir mené une approche commerciale performante, négligeant ainsi la commercialisions des produits monétiques (carte CIB et TPE) comme tel produit à promouvoir.

Notant que la pensée dans ces banques est administrative plutôt que commerciale, le fait d’avoir délivré des milliers de cartes ces dernières années n’a rien de prometteur car la signature du contrat CIB est en majorité imposée à la clientèle dans le but d’alimenter les bulletins d’activité. Un esprit anachronique qui se limite à la délivrance de la carte sans garantir pour autant la mise en marche ni l’alimentation des DAB, ni même de pallier à ce déficit en amplifiant la fourniture de TPE aux agents économiques.

Sachant que le nombre de TPE livrées à fin 2019 est de 23 762 (déclaration de M. Madjid Messaoudène, administrateur du GIE monétique). Un chiffre dérisoire comparé au nombre de commerçants inscrits au Registre de commerce dont la dernière estimation fournie fait état de 1 837 389. En considérant dans une approche extrêmement minimaliste que seulement 40% activent dans la vente aux particuliers soit 734.955 vendeurs, cela donne le taux de couverture des TPE à fin 2019 de 3,2%.

La négligence d’un marketing de niche n’est pas, à elle seule, à l’origine de ce moratoire, un autre facteur vient s’ajouter, il s’agit du traumatisme subi par les Algériens à la suite des affaires Khalifa Bank et la BCIA déshéritant davantage la confiance dans un système bancaire tourmenté et insoucieux de la quiétude de sa clientèle.

 Aujourd’hui encore, beaucoup d’Algériens n’ont toujours pas digéré ces deux affaires, mais surtout la défaillance de la Banque d’Algérie dans son rôle de gouvernance et application des règles prudentielles soit la protection de système bancaire dont les usagers. Un fait dramatique, nuisible en lui-même à la bancarisation, qui va servir à enfoncer davantage l’idéologie du cash déjà ancrée dans les mœurs des Algériens, profitant ainsi à une économie souterraine de plus en plus active.   

En 2020, deux évènements majeurs viennent envenimer encore une fois le sujet de la monétique en Algérie. La pandémie du Corona, le virus de la COVID-19 se transmet par les gouttelettes respiratoires répandues par les personnes infectées lors des contacts directs dépourvus de gestes barrières, aussi bien les postillons de salive laissés sur les surfaces. Les pièces de monnaie et billets de banque sont pointés du doigt.

Comme un malheur ne vient jamais seul, un deuxième évènement s’invite, celui du manque de liquidités qu’enregistrent quelques banques mais surtout la Poste. Face à cette situation, les détenteurs de carte Edahabia se sont retrouvés confrontés à un problème de taille, celui de voir leurs cartes rejetées par de nombreux DAB des banques, en plus des bugs entrainant des opérations enregistrées sur leurs comptes (débit) sans que les Distributeurs automatiques ne fournissent les billets. Des files d’attente se forment devant les guichets des Distributeurs des banques dont beaucoup ne joueront pas le jeu et éviteront volontairement d’alimenter leurs DAB en billets. 

La deuxième alternative a été que les usagers font leurs achats dans les commerces, boutiques et sites internet (E-commerce) en payant sur TPE ou sur les sites (prélèvement par carte), ce qui n’est pas possible chez tous les commerçants en l’occurrence du manque de TPE, mais aussi en raison de l’informel et de la prohibition des TPE et du E-paiement par les commerçants de peur d’être fiscalisés, un autre problème de notre économie.

Rappelons que le TPE fut exigé pour tout agent économique par le ministère du Commerce lors de la Loi de finances 2018, prescrivant la date limite pour s’équiper au 31/12 /2018, date reportée par la LF 2019 au 31/12/2019, puis encore une fois lors du PLF 2021 au 31/12/2021. Un sursis de plus qui ne fera que reporter la problématique.

Le président de l’APOCE, Mustapha Zebdi, invité par les ondes de la Radio nationale, annonce que 25% des commerçants usent de terminaux de paiement électronique (TPE) (source Dzair Daily, 13 décembre 2020), un chiffre qui nous semble très loin de la réalité en prenant en compte le taux calculé en 2019, en plus du constat sans appel dressé par les adeptes du paiement par CIB qui peinent à trouver des commerces dotés de TPE. Encore faut-il que ceux qui sont déjà équipés acceptent le paiement par carte bancaire !     

Repoussés par les uns et les autres, mitigés sont les porteurs de CIB quant à l’utilisation de ce moyen de retrait et paiement. Des effets néfastes qui alimentent refus et négligence des usagers face à cette dématérialisation censée servir à l’inclusion financière. En plus d’un énorme gâchis en termes de rentabilité pour les banques en matière de commissions perdues (PNB en moins).   

Le M-paiement, un paiement par mobile, le client scanne à l’aide de son smartphone le code QR, affiché sur la caisse du commerçant, le paiement est illico fait par un débit enregistré sur la carte CIB liée au compte bancaire du détenteur. Une solution plausible à cette crise qui n’a toujours pas vu le jour. Il s’agit là d’une autre victime de la corruption qui toucha de plein fouet notre pays ces dernières années.

Stoppé en 2015 par l’ex-ministre des Postes et Télécommunication alors que la Banque d’Algérie avait donné son aval pour ce produit dont le lancement était imminent, le M-paiement annoncé par M. Madjid Messaoudène (selon N’tic magazine) Administrateur du GIE Monétique en 2019, puis en fin de cette année 2020 demeurera attendu peut être en 2021.   

La création du Groupement d’Intérêt Économique Monétique (GIE Monétique) en juin 2014, par 18 banques et la poste, dans l’intérêt d’appuyer une démarche stratégique visant la régulation du système monétique interbancaire ne semble pas avoir boosté la monétique en Algérie. 

À l’ère des néo banques, les Algériens continuent d’utiliser la carte CIB pour retirer du liquide servant à régler leurs transactions courantes, seule une minorité préconise le paiement par carte quand cela leur est permis surtout.      

Elias Hamzaoui, Cadre, diplômé en sciences économiques, spécialité monnaie finance et banque

Les commentaires sont fermés.