Tadjeddine Bachir, président du GAAN: «Notre pays a besoin de rattraper son retard technologique»

Crée au début de l’année 2020, le Groupement Algérien des Acteurs du Numérique (GAAN) lancé par un par un groupe d’entreprises algériennes œuvrant dans le domaine du numérique aspire à « réunir un maximum d’acteurs du numérique algérien quelle que soit leur taille, statut juridique, niveau d’expertise, secteur de spécialisation ou positionnement géographique, autour de 4 objectifs majeurs Fédérer, Grandir, Rayonner et Transformer ». Dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder le président du Groupement, revient sur la création de cette association, ses objectifs et sur l’importance des nouvelles technologies dans la relance de l’économie nationale.

Qu’est ce qui a motivé la création du GAAN ?

Le secteur des nouvelles technologies connait des problématiques endémiques depuis plus de 2 décennies. En tant qu’acteurs, nous avons longtemps attendu et espéré que les choses se débloquent naturellement d’elles-mêmes, nous étions happés par notre travail au quotidien et tous les efforts qui ne devraient pas concernés les acteurs de ce secteur, bureaucratie, recouvrement. Nous avions déjà le projet de fonder une association en 2014 qui s’est vu échouer.

En 2018 Nous nous sommes réunis avec quelques acteurs, après quelques mois de rencontres et quelques dizaines de litres de café, nous nous sommes retrouvés autour d’un projet, celui du GAAN et nous nous donnons corps est âme pour veiller à sa réussite.

Quels sont les objectifs de cette association dont l’adhésion est ouverte à tout le monde ?

Ils sont assez simples à expliquer. Les objectifs du GAAN sont de mettre en place une organisation, qui permet aux acteurs du numérique d’exprimer leurs problématiques d’une seule voix, afin d’être mieux entendu par les pouvoirs publics. Mais aussi, de permettre à ces mêmes pouvoirs publics d’avoir un maximum de visibilité sur l’écosystème numérique DZ, de prendre conscience de l’étendu de ses capacités et du potentiel économique qu’il représente pour le pays, afin d’entamer les réformes qui permettront son éclosion aux yeux du monde.

En résumé, nous souhaitons nous positionner en portevoix pour nos collègues, et en fenêtre sur l’écosystème pour les décideurs des pouvoirs public, car nous sommes persuadés que nous devons être les premiers acteurs des changements que nous souhaitons voir, et que nous ne pouvons pas être experts dans toutes les branches du numérique, raison pour laquelle nous comptons beaucoup sur l’intelligence collective, raison pour laquelle nous sommes aussi inclusif.

Fédérer, Grandir, Rayonner et Transformer sont les maîtres-mots du GAAN pouvez nous en dire plus sur cette démarche ?

En fédérant, nous avons-nous-mêmes une meilleure vision sur les problématiques que rencontre le secteur, nos analyses en deviennent systématiquement plus pertinentes que ce soit pour les acteurs du secteur ou pour les pouvoir public ce qui nous permet de nous faire entendre.

Si nous sommes entendus, nos chances de régler les problématiques auxquelles nous sommes assujettis grandissent, plus nous déblayons le chemin, plus l’horizon en face de nous s’éclaircis et plus nous grandirons que ce soit en tant qu’entreprises ou en tant qu’écosystème, car un environnement plus propice attirera plus d’acteurs et d’investisseurs.

Si nous grandissons, nous nous donnerons les moyens de rayonner à l’international, car le numérique n’a pas de frontières comme vous le savez certainement, un service web peut être disponible immédiatement n’importe ou sur la planète du moment qu’il est marketé de manière correcte.

Enfin, le déblocage de ce secteur d’activité ne peut que transformer (en mieux) notre économie, en nous éloignant un peu plus de notre dépendance aux hydrocarbures qui restent une matière première à quantité limitée, tout en nous rapprochant d’une économie basée sur le savoir. Notre jeunesse se transformant ainsi en matière première aux ressources illimitées.

Le GAAN a transmis au gouvernement, à l’occasion de la conférence nationale sur le plan de relance de l’économie, une série de propositions à même de contribuer à la relance de l’économie nationale. Quelles sont parmi celles que vous avez sériés les plus urgentes à mettre en œuvre ?

Toutes sans exceptions sont urgentes ! Cependant, il y en a qui sont relativement simples et plutôt rapides à mettre en place car ne nécessitant que des ajustements au niveau de certaines lois/politiques comme notre politique de gestion des devises étrangères.

Le fait de permettre que des sociétés algériennes puissent prester pour des sociétés étrangères et d’être payées en devises en gardant l’intégralité de ces devises, impliquerait une ouverture d’un nouveau stream de revenus en devises pour le pays, des devises que ces acteurs n’auront plus besoin d’aller puiser dans nos réserves de changes ou pire encore, dans le marché noir de la devise.

Ils paieront bien entendu leurs impôts en devises sur partie de leur chiffre d’affaire réalisé en devise, et pourrons disposer de leurs revenus comme bon leur semble (formations, services, logiciels, voyages, hôtel…). Nous avons beaucoup d’autres propositions mais celle-ci pourraient en étonner plus d’un si elle venait à être mise en place.

Peut-on parler d’économie numérique, alors que la couverture du pays et la qualité du service internet sont très en deçà ?

Nous pouvons parler d’économie numérique à partir du moment où vous utiliser des solutions numériques pour régler des problèmes de votre vie quotidienne, vous devenez dès lors un utilisateur de ce que l’on appelle « l’internet utile ». Bien que la généralisation de l’accès à l’e-paiement serait un accélérateur non négligeable aux chiffres d’affaires réalisés par les acteurs du secteur, il n’est pas un point bloquant.

Nous avons des champions nationaux qui l’ont prouvé que ce soit dans les domaines du recrutement en ligne, du e-commerce ou du VTC ou les paiements ne sont font pas en ligne mais qui génèrent quand mêmes des chiffres d’affaires appréciables.

Un comité de labélisation des start-ups vient d’être créé par décret, les conditions d’accès à ce label sont de l’avis des experts « décourageantes », quel est l’avis ou quelles sont les remarques du GAAN sur ce texte de loi ?

Le GAAN a accueilli favorablement la promulgation du décret N°20-254 du 15/09/2020 portant création d’un comité national de labellisation des « Startup », « des projets innovants » et des « incubateurs » car il permet de définir clairement ce qu’est une startup du point de vue du législateur par conséquent les sociétés ayant obtenu le label de Startup pourront prétendre auprès du fisc aux exonérations fiscales énoncées dans l’article 69 de la loi de finance 2020.

Le ministre délégué auprès du premier ministre chargé des startups a déclaré que l’opération de demande du label se fera exclusivement par internet à travers un portail dédié, sincèrement c’est une initiative à saluer.

On parle beaucoup des start-ups, mais très peu du modèle économique des start-up. Faut-il à votre avis aller vers un statut type pour les start-up et les entreprises innovantes et n’est-il pas temps de revoir le cadre réglementaire pour permettre aux entreprises, notamment publiques d’accompagner les start-up ou les porteurs de projets ? 

Lors de la conférence nationale sur les startups, il y a eu une annonce concernant une nouvelle forme de société: la Société Par Actions Simplifiée : SPAS, c’est un statut qui permettra aux jeunes pousses d’opérer des levées de fonds sans avoir à entrer dans de lourds processus, onéreux pour changer de statut. J’espère que ça va être concrétisé rapidement.

Depuis un certain temps on parle énormément d’incubateurs et de pépinières d’entreprises au sein des universités. Sont –ils à votre avis efficaces?

Il est très difficile de parler d’efficacité sans un environnement juridique et économique propice à l’éclosion des projets innovants dans notre pays. Nous ne pouvons qu’encourager ce genre d’initiative, car même s’il n’y a pas un grand nombre de sociétés qui sortent de ces incubateurs, ils permettent à nos jeunes étudiants de toucher du doigts les problèmes auxquels ils seront confrontés une fois dans le monde réel de l’entreprenariat.

Un(e) jeune étudiant(e) en technologie ou en informatique, ne dispose souvent pas des compétences nécessaires pour monter une entreprise et gérer les aspects juridiques, commerciaux, marketing, financiers et comptables, ce genre d’incubateur leur permet de découvrir ces aspects et de les préparer à une entrée active dans le domaine de l’entreprenariat, c’est en ce sens qu’ils sont efficaces à mon humble avis en attendant que les choses se débloquent pour aller encore plus loin avec nos jeunes.

Pensez-vous que l’on puisse parler d’économie numérique, alors que l’on peine à généraliser le paiement électronique, et que l’on pas encore légiféré pour la signature électronique.

Le paiement électronique comme la signature électronique sont des éléments importants pour faciliter et accélérer les processus de digitalisation tout azimuts, mais ce qui se passe sur notre marché et sur plusieurs autres marchés dits émergents, nous prouve que dès lors que nous avons une solution numérique qui répond à un problème donné, elle trouvera preneur et le moyen de générer des ventes, donc participera à l’économie de son pays.

Pensez-vous que le retard pris dans la généralisation des TIC est rattrapable ?  

La « magie » du secteur des nouvelles technologies, réside dans le fait qu’un retard de 50 ans, peut être rattrapé en quelques années, voire quelques mois à peine dans certains cas.

Mais pour pouvoir atteindre cet objectif il faut Développer la « Littéracie Digitale » au sein des différents segments de la population. Alors que le taux de pénétration des Smartphones/Tablettes a évolué significativement en Algérie, ils demeurent des appareils adaptés d’abord pour un usage de consommation de contenu.

La crise du Covid-19 a mis en exergue le faible taux de pénétration des ordinateurs chez les Etudiants, Employés, Ménages…etc. (la base installée des ordinateurs personnels ne dépasse pas les 3 Millions d’ordinateurs pour une population qui dépasse les 40 Millions, dont 40% environ au sein des administrations et entreprises), ce qui a réduit significativement l’éventail des solutions envisageables pour assurer une flexibilité dans le lieu de travail ou d’apprentissage.

Que faut-il faire dans ce cadre et que préconise le GAAN ?

Revoir à la baisse les taux de taxation actuels en droits et taxes appliqués aux ordinateurs personnels et d’autres équipements informatiques essentiels (switch et routeurs, serveurs…etc.) qui se trouvent actuellement à un niveau excessif, rendant ainsi l’accès à un outil aussi essentiel que l’ordinateur impossible pour la plus grande frange de la population.

Il y a lieu également d’engager, dans les plus brefs délais, des programmes et initiatives à caractère national à travers un partenariat public-privé et visant à offrir des solutions (Ordinateur + Contenu + Services) adaptées par segment de la population (ex : étudiants/élèves/enseignants, fonctionnaires, ménages, PME…etc).

Aussi il faut favoriser la formation par le e-Learning pour les différentes franges de la population : A l’ère de la digitalisation, la formation à distance est aujourd’hui utilisée officiellement au même titre que les formations et enseignements prodigués en présentiel (Universités, grandes écoles, centres de formation, entreprises etc..). Elle a permis aux cadres, salariés, apprenants de travailler ensemble et de se former en dehors de leurs horaires de travail. C’est désormais une volonté affichée des pouvoirs publics d’insuffler l’économie du savoir.

Entretien réalisé par Sabrina Mouloud et publié dans la revue DZEntreprise n°38

Les commentaires sont fermés.