Aoudia Sadek, chef de division des grands risques SAA:«Nous avons aussi un rôle social vis-à-vis de l’économie nationale»

Dans l’entretien qui suit, Aoudia Sadek, chef de division des grands risques à la SAA, revient, pour nos lecteurs, sur les différentes missions de la division qu’il dirige. Il évoque la multitude de services que cette branche de la SAA, pour rappel, assureur numéro un des risques des particuliers, offre à ses clients.

Une division qualifiée en interne de succès story car elle ambitionne de figurer parmi les premiers dans le segment des grands risques, en visant l’excellence dans l’accompagnement de ses clients. Spécialisation, réactivité, calcul de la juste prime, accompagnement et conseil sont ses maîtres mots.     

Qu’est-ce que la division grands-risques de la SAA et quelle est votre cible ?

Avant de répondre à cette question, je rappelle que la SAA a, pendant des années, été un assureur spécialisé dans les assurances des particuliers, telles que l’automobile, les risques simples, les multirisques habitations, les CAT-NAT…. Les fluctuations du marché pétrolier et les crises économiques mondiales ont eu fatalement des répercussions sur notre économie nationale, et partant sur notre secteur d’activité. Avec seulement ces segments des risques simples, la SAA était exposée au risque de pérennité commerciale. A titre d’exemple, il suffit que la vente de véhicules neufs baisse ou stagne pour que cela impacte négativement notre chiffre d’affaires et nous expose à des risques de régression du niveau d’activité.  

A partir de 2014, la SAA redéfinit sa stratégie en diversifiant son portefeuille d’affaires et  ses segments de marché. Cette division n’étant pas de création récente, le top management a mis en place un plan de transformation pour la renforcer en compétences et la doter d’outils modernes de prise en charge des assurés et consolider ainsi cette partie. Une plus grande importance a été accordée à cette division et les résultats ne se sont pas fait attendre.

Je reviens à ma première question … 

Le marché des entreprises en général est divisé en trois paliers : les TPE, on en recense environ 500 000, les PME et les grandes entreprises, environ un millier. Ce sont des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse les 2 milliards de dinars et emploient plus de 200 personnes. La cible de la SAA se situe sur les deux strates hautes, donc des PME qui comptent plus de 50 employés et un milliard de dinars de chiffres d’affaires, aux plus grandes entreprises comme la Sonatrach, Cevital, Algérie Télécom, les grandes entités de service public et autres.

La division des grands risques s’occupe des assurés personnes morales, c’est-à-dire des entreprises, elle est composée de quatre grandes directions:
-La direction exploitation se charge de tous les risques d’exploitation donc des entreprises en activité; 
-La direction construction quant à elle s’occupe de tous les risques de construction notamment des assurances de chantiers ;

-La direction des assurances des risques de transports pour tout ce qui est corps de navires et d’aéronefs ainsi que des marchandises transportées que ce soit par voies maritime, aérienne ou terrestre .

Et nous avons aussi la direction des risques agricoles. Là, j’ouvre une parenthèse pour dire que nous sommes placés en deuxième position sur le marché après la CNMA. Nous assurons les exploitations, les produits agricoles, les plantations et l’élevage. Nous avons même des produits de pointe tels que la multirisque aquacole. En somme, nous assurons le matériel agricole lui-même, la ferme, le bâtiment, les cheptels et les élevages. D’une façon générale, la SAA est un assureur généraliste, nous avons cette faculté d’accompagner le chef d’entreprise dès la création de son entité jusqu’au lancement de son exploitation.

Comment ?

Un chef d’entreprise est assuré pendant toute la durée de la création de son entreprise et l’assurance continue à le couvrir quand elle entre en exploitation, voire même après la vente de son produit. Je m’explique :

Au départ, il y a le crédit, donc des investissements, durant la phase de création de l’entreprise, c’est un projet. Quand elle sort de terre, les assurances de chantiers la couvrent durant toute la phase de construction et de réalisation. Bien avant, il y a l’assurance qui couvre le transport du matériel et les matériaux vers le chantier. La phase installation des machines est également couverte. Nous continuons à protéger l’entreprise pendant son exploitation. L’assurance transport se poursuit parce que l’entreprise se fournit en matière première pour la production. Le produit, en tant que matière première, est couvert.

Quand il entre en production, il est couvert en tant que produit fini. Nous continuons à couvrir ses responsabilités civiles quand elles sont engagées vis à vis du consommateur final. En fait, ce sont plusieurs polices d’assurances qui sont packagées dans un contrat pour chaque segment (chantier, transport, exploitation). C’est dire que notre client bénéficie d’une couverture de bout en bout.

En dehors des couvertures que vous avez évoquées, y a-t-il d’autres prestations, disons complémentaires, qu’offre la SAA aux entreprises ?  

Oui. Il y a ce que nous, assureurs, appelons « équiper un client » par des couvertures qui sortent de l’activité pure mais dont l’entreprise a besoin. Nous citons, à titre d’exemple, l’assurance de la flotte de véhicules et/ou d’engins. Nous pouvons assurer le personnel à travers des complémentaires santé. Là, c’est notre filiale vie qui intervient du fait que, depuis 2006, la loi sépare les deux activités. J’ouvre une parenthèse pour expliquer que, de plus en plus d’opérateurs économiques contractent cette assurance parce qu’ils ont pris conscience que bien couvrir ses employés est un avantage et pour l’employé et pour l’employeur.

Ces assurances se développent de plus en plus. Ce sont des assurances qui ont commencé en complément de la couverture sociale. Ces complémentaires santé permettent une prise en charge particulière, voire à la carte. L’avantage est double : d’un côté, c’est un atout supplémentaire quand le recrutement de certains profils est souhaité, et de l’autre, il y a gain de temps puisque les employés trouvent un médecin pour n’importe quel soin à la faveur de conventions signées avec des médecins et des cliniques.  

Revenons aux risques industriels, vous avez évoqué la progression de ce segment d’activités, sur quoi vous basez-vous ? La crise sanitaire a-t-elle freiné la progression de cette branche d’assurance de la SAA ?

Le rapport annuel 2019 et les précédents font ressortir, chiffres à l’appui, une progression de ce segment d’activité de la SAA, qui enregistre depuis sa création des performances y compris durant cette année de crise sanitaire. Même si globalement nous n’avons pas réalisé de croissance extraordinaire, nous avons maintenu notre chiffre d’affaires et enregistré 11% de progression sur le segment des risques industriels.

Nous avons, dans notre portefeuille, des clients importants qui nous font confiance et de plus en plus de groupes publics et privés nous sollicitent pour la prise en charge en assurance risques industriels. D’ailleurs, nous ambitionnons de manière déterminée de briguer une des deux premières places d’assureur « entreprises ».

Quelle est votre position aujourd’hui ?  

Dans les risques industriels, nous sommes placés troisième en termes de chiffres d’affaires. Nous travaillons toujours pour améliorer notre positionnement et arracher, pourquoi pas un jour, la première place que ce soit en chiffre d’affaires et surtout en qualité de service axée sur deux points essentiels : la prestation en cas de sinistre et le conseil en gestion des risques.

Dans la gestion des sinistres, nous nous devons d’être très réactifs. Cette réactivité repose sur les compétences techniques de nos équipes, en central ou en région, et sur la sélection des meilleurs experts du territoire national, en plus de nos équipes d’experts internes, recrutés de l’école nationale polytechnique et formés dans le but d’accompagner nos assurés.

Qu’est-ce qui est recherché à travers le coaching des experts ?   

L’excellence. Quand survient un sinistre, le plus dramatique étant un incendie, souvent après, il ne reste plus rien pour expertiser l’origine. Une usine, c’est un ensemble, un seul expert ne suffit pas. Nous sommes accompagnés par des experts de différents profils (mécanique, chimie, électrique..). Notre but étant de tendre vers l’excellence, il nous faut challenger les experts externes qui, je le rappelle, ne sont pas des salariés de la SAA, mais comme le veut la loi, des profils que nous sélectionnons sur le tableau national.

A la SAA, nous sommes exigeants sur le choix de ces partenaires que nous challengeons pour avoir un service client de qualité, irréprochable en termes de technicité et de précision, de sorte à régler au client, dans les délais, l’indemnité la plus proche qui soit de ce qu’il a perdu. Notre but, dans la gestion des sinistres, est de permettre à l’opérateur économique de reprendre son activité le plus rapidement possible. Il faut qu’il survive à un sinistre, il ne faut pas qu’il disparaisse. Notre intérêt est commun : nous, nous gagnons un partenaire sur plusieurs années et ce dernier reprend son activité. Finalement, notre rôle est double. Il est économique, certes, par notre contribution à la richesse nationale et au financement de l’économie, mais il est également social en donnant un pouvoir d’achat à chaque entité sinistrée permettant la reprise des activités et la préservation des emplois.  

Ceci pour la prise en charge du sinistre et qu’en est-il pour le Conseil ?

En interne, nous mettons en place un nouveau corps de métier, celui d’ingénieur en prévention. Ce sont des profils diplômés très techniques. Des experts que nous dédions au Conseil et que la SAA dispense à ses clients sans facturation, c’est une prestation supplémentaire. La mission de ces ingénieurs qui sont, comme les experts, spécialisés dans différentes disciplines, est de faire des recommandations aux clients pour leur éviter des sinistres. Le but est de diagnostiquer et d’auditer les risques éventuels qui peuvent exister dans une entreprise.

Le diagnostic est minutieux car il tient compte de nombreux détails. Je cite la circulation au sein de l’usine, les branchements d’une machine, la méthode et le nombre de fois où l’installation électrique est contrôlée ? Avec quelle énergie fonctionne la machine, à l’électricité ou au gaz ? L’objectif de cet audit est de conseiller le client pour qu’il prenne les mesures nécessaires afin d’éviter le maximum de sinistres possibles.

Est-ce que les assurés tiennent compte des recommandations ? Qu’est-ce que cela leur apporte et rapporte à l’assureur que vous êtes ?

Les assurés qui tiennent compte de nos recommandations vont en quelque sorte investir pour éviter des risques. C’est une dépense qui est partagée avec nous. Je m’explique : quand un opérateur vise à éviter des sinistres imminents, il va investir dans du matériel en se dotant, par exemple, de détecteurs de fumée, de murs et portes coupe-feu et d’autres moyens de prévention. Cet investissement va impliquer des rabais techniques sur la prime d’assurance, ce sont des rabais tarifaires prévus dans notre processus tarifaire.

Ce rabais de prime va suivre le client sur plusieurs exercices, ce qui conduit, in fine, à un retour sur investissement sur sa sécurité, au bout de quelques années, généralement entre 4 et 5 ans.  Comme le risque zéro n’existe pas, même si le client a un contrat d’assurances qui le couvre, il doit agir dans le sens d’éviter les incidents. La raison est simple : l’assurance ne rembourse pas tout et ne répare pas tout. La perte d’image ou de marché ne se répare pas par l’assurance.

Notre équipe d’experts est donc là pour aiguiller le chef d’entreprise sur les points où il doit agir pour une meilleure prévention.

Nous sommes des assureurs d’entreprises, nous nous devons donc être spécialisés et précis. Une entreprise comprend plusieurs personnes, donc plusieurs vies, il faut préserver l’outil de production, les emplois, et par-delà l’économie. Notre mission est noble et très importante dans l’économie nationale, puisque l’assurance est le meilleur moyen de transformer une charge aléatoire dont le montant ne peut être prévu à l’avance, en une dépense fixe, déductible, appelée ‘‘prime d’assurance’’.

Justement, en parlant de missions économiques, vous êtes collecteurs d’épargne, comment cela se fait ?    

La mobilisation d’épargne et sa mise à la disposition de l’économie est, de par le monde, l’une des missions des assureurs. Grace à l’inversion de son cycle de production, l’assureur collecte les primes, les place sur les marchés, avant d’en restituer une partie à ses assurés sous forme d’indemnités.

Ces placements financiers lui génèrent des rendements qui viennent renforcer sa solvabilité et son équilibre. Il faut dire que les placements des assureurs sont régis par une réglementation stricte. Ceux-ci doivent répondre aux critères de sécurité, de dispersion, de congruence et de liquidité.

Est-il aisé de calculer la juste prime ?

C’est là qu’intervient le savoir-faire de l’assureur en ce qui concerne l’importance accordée à la cotation d’un risque, à l’application des tarifs, qui, faut-il le rappeler, sont créés par des actuaires sur la base de statistiques de sinistralités. Par exemple, sur le risque incendie pour l’industrie pharmaceutique, quelle est la statistique mondiale du sinistre incendie sur ce secteur-là ? C’est à partir de la réponse à cette question que l’on dégage un tarif que l’on applique par la suite, en y mettant les bonnes primes, parce que justement cette prime-là, c’est l’épargne.  

Pourtant, le taux de pénétration de l’assurance sur le marché est très faible, quelles sont, à votre avis, les principales raisons de cette frilosité ? 

Le taux de pénétration de l’assurance sur le marché est de l’ordre de 0,70% et la densité d’assurance ne dépasse pas les 30 dollars par tête alors qu’elle est de 600 dollars par habitant à l’échelle mondiale. Il n’y a pas qu’une seule raison derrière cette faiblesse du taux de pénétration de l’assurance dans notre pays, comparativement à d’autres.

Ces raisons sont en relation avec les règles de fonctionnement des entreprises d’assurance, la façon de faire de ces mêmes sociétés, et surtout, le niveau de la demande d’assurance exprimée par les ménages et les entreprises.

Le marché des assurances a connu certes une période de croissance à deux chiffres durant la période 2009-2013, à la faveur d’une conjoncture économique plus que favorable. Depuis 2014, le marché a évolué à un rythme régressif en raison, entre autres, du ralentissement dans les investissements publics et d’une baisse des importations notamment des véhicules automobile. 

La croissance du marché est donc intimement liée au niveau de demande d’assurance exprimée par les agents économiques, lequel varie en fonction de la situation économique. La croissance du marché a donc rarement été liée à la capacité des acteurs à susciter des demandes additionnelles de couverture, notamment dans les segments non soumis à l’obligation d’assurance.

Les raisons de ce recul sont aussi à rechercher dans la façon de faire des compagnies d’assurance. Force est de constater que la concurrence que se livrent les acteurs, fondée quasi exclusivement sur les prix, constitue un des facteurs de la faiblesse du rendement du marché et de sa contribution à l’essor de notre économie.

Enfin, force est de dire que le rôle hyper protecteur de l’Etat qui se traduit par la prise en charge, sur le budget, de dépenses liées aux indemnisations, pouvant facilement relever de la sphère assurantielle, contribue à rendre difficile l’émergence d’une véritable culture et d’une industrie d’assurance.

Que faire pour changer cet état d’esprit ? 

A notre sens, la réforme la plus urgente est celle qui consiste à améliorer la supervision tant en termes d’organisation que de règles prudentielles. La mise en œuvre de cette réforme, va certainement permettre de venir à bout de certaines pratiques nuisible à la profession, qui se sont installées depuis l’ouverture du marché, à l’exemple de l’utilisation du tarif comme levier de la concurrence. 

Il faut réformer également le dispositif prudentiel actuel qui se limite aux seuls éléments quantitatifs de fonds propres et de marge de solvabilité, pour aller vers un régime plus global, intégrant l’ensemble des risques auxquels font face les sociétés d’assurance, découlant de la gouvernance, de la nature du portefeuille d’affaires, du système d’information, de la réassurance et de la gestion financière.

Enfin, la nouvelle doctrine économique en cours de mise en œuvre par les pouvoirs publics, qui favorisera l’émergence d’une société responsable, ne manquera pas d’impacter positivement notre profession, dans le sens où l’assurance sera plus que jamais sollicitée à l’effet de jouer un rôle plus prononcé dans la prise en charge des besoins jusque-là couverts par la sphère budgétaire, comme signalé au début de mon propos.

Entretien réalisé par Saida Azzouz

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