Rachid Moualed : «à Koléa la vannerie est une affaire de familles, la nôtre y est depuis les années 1800»

Derrière ses lunettes de septuagénaire, Rachid Moualed, avec le regard vif et la passion d’un métier qu’il a commencé à exercer à l’âge de 10 ans. Dda Rachid est vannier. À Koléa (Tipasa), où il a hérité de cet art de son oncle maternel, il est l’un des six derniers à travailler l’osier, le rotin, le raphia et le doum pour en faire des paniers à pain, des veilleuses, des sacs à main, des chaises, des tables, ou tout simplement des objets de décoration en tous genres.

Les mains toujours agiles, Rachid Moualed reproduit les mêmes gestes avec autant de précision qu’avant, même si l’âge et la maladie l’ont contraint ces dix dernières années à baisser le rythme de travail.

A la retraite depuis plus de dix ans et en ce mois de Ramadhan, il garde le magasin pour un de ses trois enfants, qui a pris quelques jours de repos. «D’habitude, je travaille chez moi. J’aide mon fils et je m’occupe en même temps», dit-il, laissant remonter en lui un flot de souvenirs de ces longues années passées au labeur, sans jamais ressentir le besoin de faire d’autres choses que ce métier, transmis de génération en génération chez les Moualed, originaires de Larbaâ Nath Irathen (Tizi Ouzou), depuis plus d’un siècle.

«La vannerie est une affaire de familles ici à Koléa. La nôtre le fait depuis les années 1800», dit fièrement Rachid Moualed. La preuve en est cette médaille obtenue en 1903 par son arrière-grand-père à Boumerdès, lors d’une foire et que la famille garde soigneusement à la maison avec de nombreux diplômes de participation à de nombreuses foires et salons nationaux et internationaux.

«Je n’ai pas été très longtemps à l’école. Mes conditions familiales m’ont obligé à travailler durant la pause déjeuner. C’était le quotidien de beaucoup d’enfants à notre époque à Koléa», se rappelle Rachid Moualed avec le même sentiment de fierté d’avoir contribué à la promotion d’un art aujourd’hui en voie de disparition dans une ville, qui en comptait plus de 200 familles d’artisans-vanniers au début des années 1980 et dont il ne reste aujourd’hui moins d’une vingtaine. Même si de nombreuses mains habiles continuent de contribuer chez elles à la confection de nombreux objets en raphia, la stagnation des ventes risque d’un jour ou l’autre de tout arrêter. Et c’est une économie qui risque aussi de disparaître définitivement.

«Il y a beaucoup de femmes qui exerce cette activité à la maison. Ça leur permet de nourrir leurs familles et d’aider au budget de la maison», explique Rachid, en montrant quelques œuvres soigneusement confectionnées par ces artistes anonymes.

«Avant, beaucoup de jeunes filles étaient formées à Djamaâ Saharidj et aux Ouadhia, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Elles assuraient un travail de qualité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les filles font des études et leur vie professionnelle et familiale ne leur laisse plus de temps à ce travail qui nécessite du temps et de la concentration», regrette Rachid, affirmant qu’à Koléa, seules les femmes âgées continuent le travail du raphia. Avec leur disparition, c’est aussi un pan de l’histoire de ce métier qui disparaîtra avec elles.  

Matières premières : chères et rares

A la difficulté de s’assurer une relève pour pérenniser cet art et d’une clientèle régulière capable de faire vivre ce métier, s’ajoute le problème de la fourniture en matière première, entièrement importée. Ceci sans oublier les prix qui continuent de progresser depuis le début de la pandémie de la Covid-19.

Autrefois importés d’Europe, l’osier et le rotin ont vu leur prix doubler ces trois dernières années, passant de 42.000 à
85.000 DA la botte de 20 barres. Quant au raphia, son prix est passé de 700 à 1.420 DA le kilo, affirme Rachid Moualed.

Le raphia était importé de l’île de Madagascar et le doum était disponible localement dans la ville de Dellys, où sa culture faisait vivre des familles entières avant. «Il n’en reste plus rien de cette activité», ajoute encore Rachid qui pense constamment à l’avenir de son fils Aghilès à la volonté inébranlable malgré les embuches auxquelles il fait face ces trois dernières années, en raison du manque de la matière première.

«Mon oncle maternel Dda Ahmed, qui m’a appris ce métier, a carrément changé d’activité. Avec ses enfants, il s’est reconverti à la restauration. L’aîné et le benjamin de la famille n’ont pas voulu suivre ma voie», note-t-il avec un pincement au cœur, alors que son fils Aghilès affirme que l’un des plus anciens maîtres artisans de Koléa a fermé boutique et trouvé un autre emploi dans une entreprise publique.

«Notre problème principal est la rareté de la matière première et son prix», enchaîne Aghilès. 32 ans et déjà 13 ans qu’il tient le magasin installée à l’entrée de la ville de Douaouda.

Aghilès appartient à la cinquième génération des Moualed installés à Koléa. Comme son père, il a appris ce métier de vannier dès l’âge de 9 ans, ayant évolué au sein d’une famille et d’un quartier où cette activité était le gagne-pain de beaucoup de gens. «C’était tout à fait naturel pour moi. C’était notre jeu à nous enfants du quartier», dit-il souriant.

Si les commandes continuent d’affluer, bien qu’à un rythme lent, Aghilès affirme ne pas pouvoir les honorer toutes, surtout lorsqu’elles émanent d’établissements hôteliers ou certaines institutions, faute de suffisamment de stock de matières premières.

«Nous alimentons quasiment toutes les wilayas du pays, mais nous manquons d’osier, de rotin et de raphia qui ne se vend plus depuis quelque temps», affirme ce jeune vannier, expliquant s’approvisionner au village d’Ath Meziane, à Betrouna, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Là-bas aussi, la vannerie est une affaire de tout le village.

Assurer la relève

Alors que la promotion de l’artisanat, concomitamment à celle du secteur du tourisme qui reprend des couleurs en Algérie, est le maître-mot du gouvernement sur le terrain ces artisans affirment se sentir seuls face aux difficultés qu’ils rencontrent au quotidien.

Le soutien financier importe peu à ces artistes de l’osier, mais le besoin en matières premières est devenu tellement problématique que la liste de ceux qui changent de métier s’allonge d’année en année, alors qu’il est question de sauvegarde à la fois d’une activité économique importante et d’un patrimoine commun à tous les Algériens.

«Nous avons déjà posé ce problème de matière première aux autorités, mais nous attendons toujours», affirme Aghilès. Le rôle des chambres locales et l’artisanat et des métiers s’avère être primordial pour remédier à cette situation.

Celui de l’Etat est aussi souligné par Dda Rachid dans l’approvisionnement des vanniers en matière première. «L’Etat pourrait importer et vendre directement aux artisans pour rendre la matière première disponible et avec des prix raisonnables» pour permettre à l’activité de se remettre sur les rails, estime Dda Rachid, insistant, lui aussi, sur le rôle des chambres d’artisanat et des métiers.

La formation constitue aussi un volet important pour la survie de ce métier qui n’attire quasiment plus personne, n’étant plus rentable et soumis à la concurrence déloyale des objets importés et fabriqués avec des matériaux moins coûteux. Un problème que vivent, d’ailleurs, la poterie et plusieurs autres métiers traditionnels.

En attendant, Aghilès garde le moral et écarte pour le moment l’idée d’une reconversion vers un autre métier ou emploi. «Malgré la crise que connaît ce métier, des jeunes veulent perpétuer cette tradition et sauver la vannerie de la disparition», conclut-il avec beaucoup d’optimisme.

Lyès Menacer

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