Noir sur blanc, le duo gagnant de Nassima Zair

« On ne peut pas peindre du blanc sur du blanc, du noir sur du noir. Chacun a besoin de l’autre pour se révéler. » Dit un proverbe africain. Et c’est exactement ce que l’on perçoit à travers les œuvres qui ornent, tout en lui donnant de la couleur, l’atelier que nous avons visité la fin du mois de septembre.  Noir sur blanc, le duo gagnant de notre hôtesse, le maître artisan Nassima Zair!

Pour Nassima Zair, une artiste, qui a pris la liberté de jouer avec les lettres arabes pour leurs donner «une dimension contemporaine, tout en restant dans un cadre très strict et minutieux », la composition calligraphique gravée en noir sur un objet céramique blanc, est une quête incessante de perfection pour « réconcilier» autour d’un objet une valeur et son contraire. Un style. Une signature.   

« J’ai essayé de créer mon propre style: La céramique d’art en noir et blanc. Travailler en noir et blanc exige un autre regard sur les choses,  sur la vie, sur notre relation à l’autre. Le noir et le blanc sont des valeurs et non des couleurs,  qui expriment  beaucoup de choses. Disons qu’il y a toute une dimension philosophique dans le choix de travailler avec ces deux valeurs  qui s’opposent et se complètent. » Nous confie Nassima Zair alors qu’elle nous fait découvrir son atelier, sis à Bouchaoui (Alger) où elle créée et forme ceux qui souhaitent découvrir le monde de la céramique dans un espace dédié, son atelier. 

 « Ma T’art », initiales de ses enfants (Manel et Tarek), c’est le nom que Nassima Zair a donné à cet espace dont la création remonte à  2014. Année à laquelle cette plasticienne autodidacte de 41 ans, mère de 2 enfants a décidé de donner pleine mesure à sa passion en créant son entreprise et en se présentant au concours national de maitre artisan en céramique qu’organise la Chambre Nationale de l’Artisanat et des métiers.

Un atelier où Nassima Zair travaille seule les jours de la semaine et qu’elle partage avec beaucoup de plaisir le week end. « J’aurai aimé partager mon atelier tout le temps, malheureusement, je ne peux pas travailler là où il y a du monde et du bruit.  Quand je suis sur une création il me faut de la concentration ».

Alors pour partager cette passion et transmettre quelques choses aux autres Nassima Zair a crée une école de formation et tente à travers des stages de courtes durées de donner aux autres tout ce qu’elle peut. « C’est un autre plaisir, quand les stagiaires se rendent compte que le domaine de la céramique d’art est accessible. Moi on m’avait toujours dit sous prétexte que je n’avais pas fait d’école d’art que le métier était inaccessible, à travers mon école je prouve le contraire chaque jour ».

Nassima Zair: Un parcours et un apprentissage atypiques

C’est son expérience personnelle et son parcours exceptionnel, pour devenir artisane céramiste qui a amené Nassima Zair à ouvrir une école de formation.  Le maître artisan qu’elle est aujourd’hui, se souvient tout en égrenant des anecdotes, les difficultés rencontrées quand en 1999 elle aspire à se former pour acquérir le métier de céramiste d’art.  

Pour ce faire elle décide de suivre une formation au sein d’une unité publique de céramique dans la wilaya de Tipaza. « Au bout de quelques jours je me suis ennuyée, car j’avais vite fait le tour et je ne trouvais pas ce que j’étais venue chercher, par la suite j’ai pris la décision de transférer mon contrat d’apprentissage vers un atelier privé et c’était pareil, je n’avais jamais les réponses aux questions que je posais. J’ai vite compris que je perdais mon temps et qu’il fallait que je me débrouille par moi-même.»

Nassima Zair dont l’enfance a bercé dans un environnement artistique et manuel -le papa qui travaillait dans le médical était peintre amateur et la maman enseignante avait comme passe-temps les travaux manuels- savait ce qu’elle voulait et ce qu’elle ne voulait pas. 

« J’ai  fait de la broderie à l’âge de 6 ans, de la couture à 12, en fait je touchais à tout jusqu’à ce que je fabrique  ma première babouche en terre glaise à 14 ans, j’ai essayé de la cuire dans le four de la cuisine durant 4 heures, le résultat était catastrophique, mais je savais que c’était ce que je voulais faire. Plus tard  ma mère me disait souvent : « le jour où tu as fabriqué ta babouche je savais que tu avais trouvé ta voie » et elle avait raison ».

Elle a 22 ans quand elle décide d’arrêter sa formation  et de poursuivre seule son apprentissage, un autre projet de vie s’offre à elle, elle se marie et fait 2 enfants mais continue sa quête de formation sur le tas. « J’ai fait beaucoup de dégâts, gaspillé beaucoup de matière première, recommencé mille et une fois, avant de trouver ma technicité et parfaire mon savoir-faire, il faut dire aussi que l’internet m’a beaucoup aidé à travers mes échanges avec des artistes céramistes algériens et étrangers et j’ai beaucoup appris. Je voulais créer quelque chose de différent rendre la céramique plus intellectuelle, utiliser la céramique pour véhiculer des messages, qui peuvent voyager, une céramique bien de chez nous qui exprime un langage universel. Et j’estime avoir réussi.» Confie Nassima Zair.

Une signature et l’ambition d’exposer à l’étranger

La technique et la technicité acquises, armée de noir de blanc, Nassima Zair s’en va signer des objets chargés d’émotions. Des objets qui ont vite fait de séduire ceux qui ont l’occasion de les découvrir à travers des expositions ventes privées. Ses œuvres sont très prisées et ses principaux clients sont des étrangers. « Là je me suis dit, j’ai atteint un de mes objectifs puisque mes produits plaisent et sont consommés beaucoup plus par les étrangers. Mes objets voyagent  et avec une belle image de mon pays».

Exporter ou pas ses produits ?

L’Algérie, sa culture, son artisanat elle veut pouvoir les raconter en exposant à l’étranger, elle qui jusque-là n’a pu le faire car ne pouvant se séparer de ses enfants encore en bas âges. « C’était une frustration, mais dans la vie il y a, à des moments donnés des choix à faire. Aujourd’hui, j’ai des projets d’exposer à l’étranger que je vais tenter de concrétiser une fois la pandémie et ses impacts dépassés.» 

L’idée elle y est. Nassima Zair ne parle pas d’exporter mais de faire voyager  ses œuvres un peu partout à travers le monde. Elle le fait aujourd’hui mais à travers des particuliers. « L’idéal pour moi serait d’organiser des expoventes dans certaines capitales du monde comme Londres par exemple ».  

Plusieurs prix nationaux et des frustrations

Des  prix et concours Nassima Zair en a décroché plus d’un. En 2014 elle obtient le 1er prix du premier Salon national de la céramique d’art et dessin sur verre. S’ensuit en 2015 le premier prix du Salon national de Médéa, puis le premier prix national d’artisanat d’art  où sa création est élue meilleure produit d’artisan d’art. « La thématique c’était l’art de la table. J’avais présenté un service à table composé de 86 pièces intitulé « bin el barah oua el youm »  (entre hier et aujourd’hui). J’ai travaillé sur un design très moderne en intégrant une touche très ancienne. Et ça a énormément plu ».

Il est vrai que les œuvres de notre maître artisan ne laisse pas indifférents. Elle aurait aimé pouvoir les exposer lors de foires et salons et regrette de ne pas pouvoir le faire, échaudée par de mauvaises expériences.

« Les produits de la céramique d’art sont chers et fragiles, il faut que l’on soit dans des endroits sécurisés et aménagés, je me suis retiré parce que je n’étais pas satisfaite de la qualité des salons, en fait on paie une prestation et la qualité de service n y a pas du tout, payer 110 mille dinars pour un stand pour s’exposer au vol, à l’ insécurité, à l’insalubrité en plus du fait que la foire ferme à 18 heures alors que c’est le moment où les gens quittent leur travail, ne sont pas fait pour nous encourager.» Explique Nassima Zair qui estime que l’Agence nationale de l’artisanat traditionnel (ANART) devrait faire un effort pour organiser des Salons de qualité.

S’agissant de la matière première, l’artiste travaille avec les produits nobles et de très grande qualité importés. Ce qui parfois l’expose à la rareté du produit qu’elle paie au prix fort. A la question de savoir pourquoi elle n’utilise pas les produits locaux, elle répond : « Hélas je ne peux pas travailler avec les produits locaux, car ils sont de qualité très médiocre, tous les artisans d’Art vous le diront». 

Pouvoir travailler avec des matériaux locaux de qualité, car cela assurerait la disponibilité et réduirait le cout de revient est un des vœux de Nassima Zair. L’autre étant que les formations assurées par les maitres artisans soient ponctuées par des diplômes agréés par l’Etat. Ainsi, nous dira-t-elle, pour conclure les stagiaires qui seront formés dans un atelier chaleureux, plutôt que dans la salle froide d’un centre de formation, pourront se projeter et lancer leur propre atelier. 

S.M

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