Mourad El Besseghi, expert financier : «la loi de finances 2023 présente quelques particularités»

Dans cet entretien, l’expert financier Mourad El Besseghi décortique les différentes mesures que contient la loi de finances 2023, notamment sur la politique des subventions sociales et les nouvelles mesures fiscales.

La loi de finances 2023, adoptée le 22 novembre 2022 par l’Assemblée populaire nationale puis le 8 décembre par le Conseil de la nation, publiée le 29 décembre 2022 au Journal officiel, comprend une série de mesures d’appui à l’investissement. Sont-elles efficaces ?

Une loi de finances est un instrument de travail d’une importance capitale dans la mise en œuvre de la politique économique et sociale d’un Etat et un outil majeur dans l’administration d’un pays dans son ensemble à travers ses institutions et sa gouvernance.

La loi de finances 2023 présente quelques particularités.

La première d’entre elles est évidemment le fait qu’elle ait été élaborée et adoptée conformément aux dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, c’est-à-dire la loi 18-15 du 2 septembre 2018 relative aux lois de finances. La loi de finances 2023 y compris ses tableaux annexes sont présentés différemment. Elle s’articule sur des programmes et des objectifs qui s’étalent sur une trajectoire 2023-2025. Ainsi, le cadrage budgétaire est à moyen terme, accompagné par un cadrage de dépenses à moyen terme. Les ajustements vont se faire à travers des évaluations en permanence avec des indicateurs de performance pour chaque étape.

La nouveauté réside dans son approche et son élaboration, car elle introduit davantage de discipline et de rigueur dans les dépenses. Même si paradoxalement, ces dernières sont revues à la hausse pour les trois années à venir, en raison de l’embellie financière que connaît présentement le pays. Il n’en demeure pas moins que les affectations des ressources ont été mieux réfléchies. Elles sont censées aboutir à des résultats concrets, avec une articulation des programmes, fondée sur des objectifs et la performance et sous-tendue par une maîtrise et une rationalisation des dépenses publiques.

La deuxième particularité de cette loi de finances réside dans le fait que cette loi soit en parfaite cohérence avec la loi sur l’investissement adoptée en 2022 avec des projets structurants et d’autres prioritaires. 

D’autant que les principaux agrégats macroéconomiques sont quasiment tous au vert et favorables à une dynamique de relance de l’économie. Pour 2023, le taux de croissance du PIB prévisionnel est de 4,1%, alors que le taux d’inflation est de 5,1%. Les exportations devraient se situer à 46,3 milliards de dollars et les importations de 36,9 mds USD, soit un excédent de la balance commerciale qui permettra de faire progresser les réserves de change qui avoisineraient les 59,7 mds USD.

La troisième particularité est le niveau de la dépense retenue qui est de plus de   13.000 milliards de dinars, soit une augmentation de 20% par rapport au PLF de 2022, niveau jamais égalée dans l’histoire du pays.

Ce niveau d’autorisation de paiement est à la hauteur de l’ambition du pays de relancer l’économie après avoir connu et subi la période d’engourdissement de l’appareil économique qui a été imposé  par la pandémie de la Covid-19. Il était nécessaire de dresser un budget de cette ampleur pour soutenir davantage le programme d’investissement public,  sachant que notre économie est très dépendante de l’action publique en termes d’investissement. La croissance est tirée par la dépense publique, mais aussi par les dépenses nécessaires pour un certain rattrapage sur le plan social et même sur le plan d’investissement infrastructurel.

Et en termes de recettes ?

En termes de recettes, il convient de noter l’avancée remarquable de la fiscalité ordinaire par rapport à la fiscalité pétrolière, même si cette dernière a enregistré une augmentation de 30%  par rapport à l’exercice 2022.

Par ailleurs, la loi de finances prévoit d’alléger l’obligation pour les investisseurs à réinvestir 30% des avantages fiscaux accordés au titre de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (IBS) et la taxe sur l’activité professionnelle (TAP), en les autorisant à investir ou à effectuer des placements dans des start-up ou des incubateurs.

Afin de booster l’emploi et ouvrir le marché du travail aux jeunes, une nouvelle forme d’organisation commerciale a été promulguée récemment par la loi n° 22-23 du 18 décembre 2022 portant statut de l’auto-entrepreneur. Selon les dispositions de ce texte législatif, il s’agit de toute personne qui pratique une activité individuelle lucrative inscrite sur la liste des activités éligibles pour bénéficier du statut d’auto-entrepreneur. Pour ceux éligibles à ce statut, en l’occurrence ceux qui réalisent un chiffre d’affaires de moins de 5 millions DA/an, ils seront soumis à l’impôt forfaitaire unique à hauteur de 5% sur le chiffre d’affaires, ce qui est en soi très encourageant.

Toujours dans ce volet, la loi prévoit l’exonération de l’IBS des coopératives de la pêche et d’aquaculture et des fédérations agréées.

La loi de finances prévoit également l’allègement des charges fiscales concernant la taxe sur les véhicules de transport du personnel des entreprises afin de réduire les charges que les entreprises doivent supporter et qui grèvent le coût de production.

Pour aller dans le sens de l’inclusion fiscale, la loi de finances 2023 a introduit une assimilation définitive des virements bancaires comme moyens scripturaux de paiement et relevé le niveau des paiements en espèces des charges déductibles à un million de dinars. Le niveau de la taxe sur la valeur ajoutée acceptée en déductibilité a également été relevé à ce niveau pour assurer une cohérence d’ensemble.

 La loi de finances 2023 maintient la politique des subventions sociales. Certains spécialistes approuvent  et d’autres non. Est-ce une bonne décision à votre avis ?

Troisième particularité : préservation des acquis sociaux et soutien au pouvoir d’achat avec l’augmentation des salaires des pensions des retraites et des allocations de chômage pour une enveloppe de 270 millions de dinars. Evidemment, cela concerne aussi bien les soutiens des prix des produits soutenus par l’Etat, les subventions  et l’augmentation des salaires et des allocations de chômage.

La question qui taraude l’esprit du citoyen lambda est de savoir si ces augmentations des revenus ne vont être laminées par la hausse des prix des produits alimentaires et annihiler l’effet que l’on souhaite avoir sur le pouvoir d’achat.

En d’autres termes, est que cela ne va pas contribuer à faire flamber les prix et nous faire rentrer dans l’enfer de l’inflation qui devrait, selon les prévisions, ralentir à 5,1% en 2023, à 4,5% en 2024 et à 4% en 2025. Pari difficile à tenir et défi majeur à relever.

Par ailleurs, la loi de finances 2023 a été élaborée sur la base d’un prix du baril de pétrole de 60 dollars pour la période 2023-2025. Qu’en pensez-vous ?

La loi de finances 2023 a été adossée à un prix référentiel prévisionnel du baril de pétrole de 60 dollars pour la période allant de 2023 à 2025, alors que le prix du marché prévisionnel du baril de pétrole brut est de 70 dollars pour la période 2023-2025. Il y a ainsi une prudence affichée pour éviter de se hasarder dans les excès budgétivores et se donner la possibilité de se retourner en cas de volatilité défavorable. La différence est donc affectée au Fonds de régulation des recettes qui est destiné, entre autres, à financer des projets structurants.

Les effets de la guerre d’Ukraine sur les prix de pétrole peuvent s’avérer défavorables, d’où une prudence  sur les risques à observer sans pour autant verser dans les excès.

Le taux de croissance économique devrait atteindre 4,1% en 2023, 4,4 % en 2024 et 4,6% en 2025, ce qui est par les temps qui courent très louable.

La loi de finances2023 prévoit aussi de nouvelles mesures fiscales. Quelles sont les plus importantes à votre avis ?

Il faut d’emblée dire qu’aucune nouvelle taxe ou impôt ne sont prévus. Il y a des réaffectations et des réorientations des ressources, mais aucune charge fiscale supplémentaire n’est prévue aussi bien pour le citoyen que pour l’entreprise.

Des  mesures de simplification ont été introduites telles que celles relatives aux taxes de séjour pour les établissements hôteliers.

Le recouvrement des taxes sur l’assainissement et la collecte des ordures ménagères confié aux communes est désormais retourné dans le giron de l’administration fiscale, compte tenu des lacunes observées dans sa perception par les receveurs intercommunaux, alors que cet impôt finance totalement l’activité des communes. 

Entretien réalisé par Fatiha. A

Publié in DZEntreprise février 2023

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