« La création d’une filière déchets complète est complexe et longue  »

Le docteur Lamine Kadi a consacré ses activités d’enseignement et de recherche aux domaines des énergies renouvelables, du changement climatique et du développement durable.
Membre de plusieurs réseaux internationaux, il est également expert-consultant auprès de nombreux organismes et institutions nationaux et internationaux. Il est l’auteur de nombreuses publications et communications internationales.
Dans l’entretien qu’il a accordé à DZ/Entreprise il revient sur « l’histoire » de l’économie verte, du concept d’économie circulaire, de la formation aux métiers verdoyants et du rôle des collectivités locales dans « l’éclosion» de nouvelles micro- entreprises et leur injection dans la filière déchets.

DZEntreprise : Pensez-vous qu’on puisse parler d’économie verte aujourd’hui en Algérie ?

DR LAMINE KADI : L’économie verte est encore, au niveau mondial et plus particulièrement pour les pays de l’OCDE, un concept dont on essaye de définir les meilleures stratégies de mise en œuvre.
Il part du principe que le capital naturel devienne le nouveau moteur de la croissance par le biais de l’innovation technologique après que les modèles classiques ont failli dans la relance économique après la crise financière et économique de 2008.
La double crise, économique et financière d’une part, environnementale d’autre part, place d’ores et déjà les enjeux du développement durable au cœur des économies de marché et renforce la nécessité de restaurer les conditions d’une croissance orientée vers le long terme.
Depuis 2008, les institutions internationales (OCDE, Union européenne, ONU, Banque mondiale ou FMI) et les grands pays industrialisés ou émergents (Etats-Unis, Chine, Corée du Sud, Allemagne, France, …) mettent en avant, dans leurs stratégies économiques, le rôle de l’économie verte comme moteur de sortie de crise. Il s’agirait d’une mise en œuvre effective du développement durable dans l’activité économique.

DZEntreprise : Sommes-nous dans ce contexte ?

DR LAMINE KADI : Le contexte est différent pour les pays en développement.
En Algérie, les plans de relance économique adoptés depuis une décennie comportent des aspects qu’on pourrait qualifier d’éléments de croissance verte mais sans pour autant constituer des éléments de transition vers une économie verte en l’absence d’un stratégie globale définissant des objectifs de « verdissement » de l’économie : emplois et métiers verts, innovation technologique, R&D, mutations industrielles, valorisation du capital naturel, réformes structurelles de la gouvernance , …

DZEntreprise : Mais nous y allons ?

DR LAMINE KADI : Ces éléments importants – EnR, transports, … – mériteraient d’être consolidés et mieux articulés dans le cadre d’une stratégie nationale de transition vers une économie verte, ce qui donnerait par ailleurs une meilleure visibilité aux efforts de l’Algérie sur la scène internationale et constituerait des éléments de force dans les cadre des négociations multilatérales en cours (climat, OMC, accord d’association à l’UE, …).
Cette stratégie devrait avoir pour ambition de relever les défis du développement durable : défis scientifiques, technologiques, économiques, sociaux, environnementaux et éthiques.
Elle devrait être axée sur l’innovation, la R&D afin de construire une économie fondée sur la connaissance.
Elle devrait avoir comme objectifs principaux la réussite de la transition énergétique (vers l’EE et les EnR), la sécurité alimentaire et le développement des modes de production et de consommation durables.

DZEntreprise : D’accord, mais peut- on dire aujourd’hui que la transition vers l’économie verte est amorcée ?

DR LAMINE KADI : Il faudrait avoir à l’esprit notamment que l’économie algérienne est fortement dépendante des hydrocarbures et que l’Algérie est de plus en plus concurrencée sur le marché du gaz et que ses réserves de pétrole s’épuisent, que notre pays présente une vulnérabilité certaine aux changements climatiques et que la transition vers l’économie de marché a induit des modes de consommation et de production absolument néfastes pour l’environnement et pour la santé publique.
Une transition vers une économie verte, dans le cadre d’une stratégie intelligente, permettrait de faire face à ce type d’enjeux.

DZEntreprise : D’aucuns préfèrent parler d’économie circulaire ; y a-t-il une différence entre économie verte et économie circulaire ?

DR LAMINE KADI : Par opposition à l’économie linéaire où un produit ou un bien ne connaît pas de recyclage en fin de vie, l’économie circulaire consacre le recyclage des déchets et des produits usagés qui deviennent de nouvelles ressources pour l’industrie, l’agriculture ou la production d’énergie, créant ainsi une nouvelle valeur- ajoutée.
L’économie verte englobe évidemment l’économie circulaire mais demeure plus large dans ses champs d’application.

DZEntreprise : Comment amener les collectivités locales à encourager la création de micro- entreprises spécialisées dans la collecte et le tri des déchets recyclables ?

DR LAMINE KADI : La création d’une filière déchets complète est complexe et longue. Elle comporte des aspects de gouvernance, industriels, technologiques, éducationnels et sociologiques. Ces derniers aspects étant les plus difficiles à maîtriser.
De nombreux pays avancés ont mis beaucoup de temps à construire de telles filières et à les maîtriser.
Les micro-entreprises – au sens où on les conçoit en Algérie – ne peuvent constituer à elles seules la solution.
Il faudrait tout d’abord que les collectivités locales bénéficient d’une certaine autonomie, pour ne pas dire décentralisation, dans ces domaines afin d’initier des projets et des programmes adaptés à leurs besoins.
Ensuite, il faudrait que ces mêmes collectivités locales disposent ou aient recours à des compétences certifiées dans ce domaine : de la conception à l’exécution, tout reste à faire dans la formation à ces métiers qui peuvent générer beaucoup de valeur- ajoutée.
A titre d’exemple, les seuls déchets ménagers, qui ont une forte teneur organique, peuvent être aisément valorisés en compost organique qui pourrait être substitué de façon bénéfique aux engrais chimiques, source de pollution des sols et des eaux et de problèmes sanitaires insoupçonnés.

DZEntreprise : On parle de difficultés à s’adapter à ces nouveaux métiers boudés par de nombreux jeunes chômeurs, alors que nombre d’entre eux travaillent dans l’informel.
Les collectivités locales ne peuvent -elles pas les encadrer ?

DR LAMINE KADI : L’accompagnement technique et managérial des micro-entreprises n’existe pratiquement pas chez nous et les structures de formation professionnelle et de formation continue de nos universités – qui doivent assurer ce transfert technologique à travers les incubateurs et pépinières d’entreprises – sont défaillantes en termes de qualité et d’adaptation à ces nouveaux métiers.
C’est vrai qu’il existe des filières plus ou moins informelles de récupération et de recyclage de certains déchets (plastiques, verre, papier, aluminium, autres métaux, ..).
La structuration et le développement de telles filières n’incombent pas uniquement aux collectivités locales, mais également aux industriels dont l’organisation corporative est très en retard par rapport aux normes internationales.
Les chambres de commerce et d’industrie et les organisations professionnelles dans les pays avancés prennent en charge directement les besoins de formation aux métiers, souvent à travers des écoles de grande réputation.

DZEntreprise : On a de plus en plus tendance à parler de métiers « verdoyants ». Qu’en est-il de la formation pour ces métiers ?

DR LAMINE KADI : La formation aux métiers verts est destinée à répondre à des besoins qui seront induits par le « verdissement » de certains secteurs de l’économie : eau, déchets, énergie, véhicules propres, …
Comme je viens de vous l’expliquer, l’enjeu majeur demeure la construction d’un système de formation et de transfert technologique moderne et performant et en étroite relation avec le secteur économique.
Les systèmes traditionnels de formation professionnelle, d’éducation et d’enseignement supérieur qui perdurent dans notre pays sont obsolètes et ne répondent plus à de tels besoins.

Biographie :

Le docteur Lamine Kadi est Recteur Honoraire de l’Université Abdelhamid Ibn Badis de Mostaganem où il dirige le laboratoire Energie, Environnement et Développement durable.
Il est diplômé de l’Université Mohamed Boudiaf des Sciences et Technologie d’ Oran, de l’Ecole Centrale de Paris et de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris.

Dr. Lamine Kadi a consacré ses activités d’enseignement et de recherche aux domaines des énergies renouvelables, du changement climatique et du développement durable.
Membre de plusieurs réseaux internationaux, il est également expert-consultant auprès de nombreux organismes et institutions nationaux et internationaux.

Il est l’auteur de nombreuses publications et communications internationales.

Dr. Lamine Kadi a occupé de nombreuses fonctions administratives durant sa carrière académique : Directeur d’institut, Doyen de faculté, Recteur d’université (2000 – 2008), Président du Conseil d’administration des Universités Badji Mokhtar d’ Annaba et Hassiba Ben Bouali de Chlef.

Il a été également expert auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique au sein de nombreuses commissions : réforme LMD, Assurance-Qualité et Evaluation, Gouvernance universitaire.

Par Saida Azzouz

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