Mahfoud Kaoubi : « Les BRICS ne pourront apporter que de bonnes choses pour le pays»

Les BRICS créeront une alternative au monde unipolaire dominé par une approche impérialiste. Ce ne peut apporter que de bonnes choses pour le pays, estime le spécialiste en économie Mahfoud Kaoubi, rencontré à la Conférence algérienne sur l’investissement (AIC). Notre interlocuteur assure que les chances d’adhésion de l’Algérie aux BRICS sont grandes de par ses atouts et ses potentialités énormes.

Il soutient, toutefois, qu’appartenir à un pôle, c’est bien, mais il ne faudrait pas être le maillon faible. Ce qui risque de se produire en raison d’un problème, d’un obstacle sérieux, qu’est l’administration. Kaoubi relance son appel à une réforme profonde de cette administration et surtout changer les profils des responsables, devant laisser la place à une jeunesse qui réfléchit autrement. Le spécialiste insiste sur la nécessité de libérer les individus et les entreprises.

DzEntreprise : L’Algérie a déposé officiellement sa demande d’adhésion au groupe dit BRICS. Que va nous apporter cette adhésion ?

Mahfoud Kaoubi : L’adhésion aux BRICS, c’est quelque chose qui ne peut apporter que de bonnes choses. Toutefois, il ne faut pas considérer que cette adhésion va régler tous nos problèmes économiques.

Que va-t-elle régler justement ?

L’adhésion aux BRICS va nous permettre de renforcer notre capacité de négociation sur le plan géostratégique. Elle nous permettra d’avoir des alternatives en matière de financement. Actuellement, le financement à l’international est pratiquement dominé par les instances issues des accords de Bretton Woods, soit la Banque mondiale, le FMI et toutes les organisations financières qui en résultent. Généralement, elles soumettent leurs financements à des conditionnalités particulières qui parfois dépassent le plan économique et financier et vont au politique et autres. L’adhésion aux BRICS permet donc de marger sur d’autres financements.

Il faut rappeler que les BRICS disposent de sang neuf qui est le fonds nouveau du BRICS. C’est un fonds qui met à la disposition des pays qui adhèrent aux BRICS des possibilités de financement pour le développement de l’infrastructure économique et le développement économique et social d’une manière générale, avec des taux d’intérêt certes, mais sans qu’il n’y ait de conditionnalités pesantes comme c’est le cas avec le FMI ou la Banque mondiale.

La deuxième chose sur le plan économique est que les BRICS sont un espace d’échanges important. C’est quand même 3,5 milliards d’habitants, 25.000 milliards de produit intérieur brut. Les BRICS, c’est 18% actuellement du volume des transactions mondiales. C’est pratiquement 30% de la superficie du monde. C’est très important tout cela. Et les BRICS aussi, c’est cinq pays qui connaissent les taux de croissance, je dirai moyennement les plus élevés au monde.

Mais le regroupement lui-même constitue une bonne alternative à ce qui existe et qui, comme vous le dites, est pesant, imposant des conditions draconiennes aux pays.

En effet, les BRICS peuvent être un espace qui créera une alternative au monde unipolaire qui existe actuellement et qui est malheureusement dominé par une approche, je dirais impérialiste sur un degré très avancé. Il est dominé par les multinationales et par un système financier mondial qui est souvent injuste par rapport aux pays en développement. Avoir donc une alternative, c’est bien. Avoir le choix, c’est bien et avoir des conditionnalités moindres, c’est toujours bien. Cela pourrait aussi créer des joint-ventures et des projets en commun avec des pays telles la Chine et la Russie.

Il faudra rappeler que ce n’est pas uniquement l’Algérie qui postule. L’Egypte postule, le Sénégal postule, le Nigeria aussi. A citer aussi les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Iran et l’Argentine. Avec une telle force, avec de tels marchés, il est permis d’espérer et d’aspirer au grand changement. Et l’Algérie, dans tout cela, a un point élément en matière d’attractivité. Il s’agit bien de la zone économique de libre- échange africain qui est la Zlecaf. Il faut le dire, d’une manière très claire, l’Algérie est l’un des pays qui a les meilleurs atouts au niveau africain.

Quelles sont les autres conditions d’accès ?

Les grands critères qui déterminent l’accès aux BRICS sont deux. Le premier étant l’importance géostratégique que pèse un pays. C’est ce qu’on appelle le critère politique. L’Algérie est la première superficie en Afrique, la troisième économie dans le continent. Il y a son potentiel énergétique (énergies fossiles, énergies renouvelables, mines et autres). A citer également sa jeunesse. L’Algérie est le pays africain par excellence qui dispose d’un niveau d’instruction assez élevé. Il y a aussi sa diaspora. Nous avons également les infrastructures routières. Aussi, le réseau de fibre optique est l’un des meilleurs au monde.

Nous avons donc toutes nos chances…

Ce qui est certain c’est que nous un potentiel permet une rentabilisation et un accès à la plus grande zone d’échange dans les années à venir, qui est l’Afrique. Je dirais que les Chinois ont beaucoup plus intérêt de venir investir en Algérie que d’aller au Rwanda ou en Éthiopie, quand bien même ils sont déjà là-bas. Maintenant, c’est à nous de créer les conditions, de lever les obstacles qui nous empêchent d’être attractifs. Il y a la loi sur l’investissement qui a été faite, c’est bien. Il y a la loi sur la monnaie et le crédit qui arrive, c’est bien.

Vous considérez donc qu’il y a encore à faire ?

Moi, j’insiste sur une chose : il faut réformer le plus grand obstacle qui nous empêche d’aller vers plus d’investissements. C’est l’administration. L’administration, d’aujourd’hui, n’est pas du tout à jour avec la chose économique, avec la liberté d’investir, avec la liberté de circulation, avec l’efficacité et la rapidité économique. Il faut absolument changer l’organisation de l’administration. Il faut changer les profils des responsables pour que ces textes qu’on a adoptés pour ce mouvement de transparence soient une transformation faite par la jeunesse. Cette jeunesse qui réfléchit autrement, qui aspire au développement, qui prend des risques. C’est cette jeunesse qui pourrait relever les défis.

C’est à dire..

L’administration occupe un très grand terrain en Algérie. C’est cette administration qui est le vecteur de la distribution, qui est l’arbitre dans le domaine économique, c’est elle qui attribue les avantages. Tant que nous n’avons pas transformé les processus, les instruments, la manière de penser, nous serons à la traîne. Nous avons besoin de responsables qui réfléchissent bien, qui sont dans les opérations, qui sont réactifs, qui sont heureux de faire leur travail.

Il faut connaître les opérations. Notre administration ne connaît pas assez les opérations économiques. La connaissance nécessaire pour la maîtrise nécessaire des opérations n’existe pas. Nous sommes en décalage, nous sommes en déphasage, nous avons une locomotive qui n’a pas la capacité de tirer les wagons. Nous avons des wagons qui sont là, qui sont bien, il faut les libérer. Libérer les potentialités, c’est important. Aujourd’hui, il y a cette opportunité de guerre en Ukraine. C’est elle qui est en train d’accélérer les processus de transformation.

Pour vous, si l’administration n’est pas reformée, nos chances sont compromises

Absolument! Le monde de demain sera impitoyable. La Chine ne va pas  nous faire de cadeau, la Russie non plus. Demain, il y aura moins d’espaces. Il y aura plusieurs pôles qui vont se disputer des espaces commerciaux, des espaces des ressources d’énergie et d’autres ressources alimentaires, etc. Demain, la lutte sera impitoyable.

Appartenir à un pôle, c’est bien, mais il ne faudra pas que nous soyons le maillon faible de ces pôles. Nous avons fait des expériences avec l’Union européenne, il faut que nous en tirions les leçons. Nous avons fait des expériences avec une union de la zone arabe. Il faut qu’on en tire des leçons. Nous avons fait des expériences malheureuses où nous avons gaspillé beaucoup d’argent et nous avons raté le développement malgré une dépense de plus de 1.000 milliards de dollars. Maintenant, nous devons être au rendez-vous.

Comment ?

En nous réconciliant avec la rationalité, avec la liberté. Croire en cette jeunesse et la libérer. Libérer les individus, libérer les entreprises. Et nous verrons que ça payera. Ça payera comment ? En créant de la richesse, en créant des taux de croissance beaucoup plus élevés et en donnant à l’Algérie toute la part qu’elle mérite d’avoir. Non pas par la consommation et par la richesse souterraine dont Dieu nous a gratifiées mais par la valeur du travail, par la richesse que nous créerons. Cela permettra à l’Algérien d’être plus heureux, plus créatif et cité comme référence en matière de production de travail et non pas uniquement de pétrole.

Entretien réalisé par Karima Mokrani

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