Youcef BENMICIA, président de l’UAR «Une grande partie de nos propositions a été prise en compte dans ce projet de loi de réforme des assurances»

Dans cet entretien, Youcef Benmicia qui s’exprime en sa qualité de président de l’Union algérienne des sociétés d’assurance et de réassurance (UAR) revient sur les difficultés auxquelles est confronté le secteur des Assurances et sur l’importance que revêt la nouvelle réforme en cours d’examen au niveau du gouvernement. Il insiste surtout sur la nécessité de mettre en place une autorité de supervision du secteur, totalement indépendante, et surtout sur l’instauration de nouvelles règles de gouvernance des sociétés d’assurances.

Le secteur des assurances connaît en Algérie une croissance lente malgré son ouverture au privé et une diversification des produits et services proposés. Comment l’expliquez-vous ?

La libéralisation du secteur des assurances en 1995 a permis, en effet, une ouverture à de nouveaux acteurs, qu’ils soient publics, privés nationaux ou étrangers. Ce qui a eu pour conséquence une diversification des produits et services et des offres compétitives. Et il est utile de rappeler que depuis la levée du monopole de l’Etat sur les assurances, le chiffre d’affaires du marché, qui s’élevait, fin 1996, à 15 milliards de DA, a été multiplié par dix pour atteindre 156 milliards de DA en 2022, soit une croissance moyenne annuelle de 9,5%. Mais jusqu’en 2014, la croissance moyenne annuelle a atteint 13% pour retomber à partir de cette année de crise à près de 3%. Cependant, pour l’année 2022, grâce à la reprise économique, l’assurance a renoué avec la croissance et affiche une évolution de 8% par rapport à l’exercice 2021. Donc, cette brève analyse permet d’expliquer, en partie, l’évolution de l’activité d’assurance en rapport avec la conjoncture économique.

Les autres explications sont aussi connues. Elles sont liées au degré de pénétration de l’assurance, aux tarifs bas des principales branches et à la concurrence sur les prix que se livrent toutes les sociétés d’assurance.

La faible pénétration de l’assurance est due à plusieurs facteurs, dont l’insuffisance de communication et d’éducation financière, mais aussi au peu d’intérêt accordé à l’assurance, soit par méconnaissance de son utilité, soit en raison des priorités des budgets des ménages et des opérateurs économiques.

Aux tarifs déjà bas, la concurrence axée uniquement sur les prix pour accaparer plus d’affaires et de parts de marché émerge comme une double problématique. D’abord en influençant négativement le secteur en lui faisant perdre annuellement plusieurs points de croissance, ensuite en limitant les ressources des sociétés d’assurance, nécessaires à leur bon fonctionnement et au règlement des sinistres.

Enfin, l’exploitation des énormes gisements que constituent l’assurance des particuliers et des ménages évolue timidement, néanmoins, avec un traitement adéquat des quelques contraintes citées, cet important segment serait un puissant levier de croissance du marché.

En tant que professionnels, quelles sont vos attentes par rapport à la nouvelle loi sur les assurances, toujours en cours d’élaboration ?

En fait, c’est l’ensemble des acteurs du marché, sous l’égide de l’UAR, qui a formulé des propositions pour introduire une véritable réforme visant à moderniser le secteur, stimuler sa croissance et lui faire jouer pleinement son rôle économique et social.

La dernière modification de l’ordonnance 95-07 relative aux assurances remonte à 2006 avec, notamment, la séparation des activités d’assurance dommages et d’assurance de personnes.

Certes, il y a eu après quelques changements introduits par des lois de finances complémentaires, mais ce n’était pas une révision au sens propre du terme. Et comme le monde a connu, depuis, de grandes transformations, des crises et des évolutions technologiques majeures, l’adaptation à ces changements, avec une mise à niveau conforme aux standards internationaux, s’est avérée indispensable afin de faire face à ces nombreux défis.

Donc, il y a quelques années, nous avons émis, au niveau de l’UAR, des propositions pour la révision de ce dispositif afin de permettre au secteur de s’adapter aux changements intervenus et que nous avons vécus, comme la crise financière de 2008 ou celle de 2014 avec la chute des prix du pétrole et dont nous ressentons encore les effets, en plus des changements climatiques ou encore de l’évolution technologique qui a apporté beaucoup de choses positives mais aussi son lot de contraintes, notamment sur le plan de la cybersécurité, sans oublier la pandémie qui a bouleversé le monde et obligé le secteur des assurances à s’y adapter. Il y a eu aussi récemment la situation géopolitique qui fait apparaître de nouveaux défis à relever.

C’est dans ce contexte que les membres de l’UAR ont émis des propositions traitant aussi bien de la partie législative que des textes réglementaires et touchant les aspects techniques, organisationnels et de supervision. Ces propositions ont, pour leur majorité, été prises en considération et nous aspirons à ce que le projet de loi soit examiné et adopté dans les mois qui suivent afin de mettre en place les nouveaux mécanismes qui sont prévus en matière de supervision.

Quel est l’essentiel de vos propositions ?

Parmi nos propositions, la plus importante à nos yeux concerne la régulation et la supervision des assurances avec la création d’une autorité indépendante, à l’image des autorités présentes dans la plupart des pays.

Cette nouvelle entité devrait disposer de suffisamment de moyens humains, financiers et matériels pour jouer pleinement le rôle qui lui sera dévolu et qui consistera, notamment, à aider le secteur des assurances à se développer, à ce qu’il soit entouré d’un cadre sain de fonctionnement, selon des bases et des règles propres à l’activité, afin d’asseoir un climat de concurrence loyale qui pourrait apporter beaucoup d’éléments positifs en matière de qualité de la prestation et d’innovation, grâce à cette compétition.

C’est ce qui se passe dans de nombreux pays, y compris dans notre région, où les autorités de supervision des assurances s’impliquent activement et jouent un rôle très important dans le développement du secteur, en permettant aux acteurs du marché d’exercer, mais aussi en veillant à ce que leurs activités soient conformes aux textes, tout en protégeant les assurés et les bénéficiaires des contrats d’assurances.

Mais d’autres axes majeurs d’évolution ont été proposés, tels que l’intégration de la digitalisation comme moyen de souscrire et de fournir des services d’assurance à distance.

Figurent également l’introduction de nouvelles assurances pour faire face aux risques émergents, la flexibilité du dispositif lié aux assurances contre les catastrophes naturelles, la possibilité d’introduire de nouveaux canaux de distribution, le renforcement des mesures de lutte contre la fraude à l’assurance, la réinstauration de l’obligation d’assurance couvrant les marchandises et les biens d’équipement transportés par voie maritime et aérienne, l’élargissement de l’obligation d’assurance incendie au secteur privé, ainsi que des sanctions plus sévères en cas de défaut d’assurance pour les assurances obligatoires.

Sans omettre l’instauration de nouvelles règles de gouvernance des sociétés d’assurance.

Une grande partie de nos propositions et suggestions ont été prises en compte dans ce projet de loi, actuellement en cours d’examen au niveau du gouvernement. Nous espérons que la promulgation de ce texte important puisse intervenir au cours de cette année.

Dans un contexte de changements climatiques, l’assurance agricole peine à trouver sa voie. Faut-il la rendre obligatoire en Algérie ?

Notre pays est effectivement très exposé aux événements naturels et à des catastrophes climatiques et sanitaires, parfois exceptionnelles. Il existe déjà un système assurantiel permettant de se couvrir contre les effets des catastrophes naturelles (Cat-Nat), mais les acteurs du marché ont aussi proposé un autre dispositif complémentaire pour l’assurance des calamités agricoles.

Si je fais le lien avec le système Cat-Nat, c’est parce qu’il est basé sur l’obligation d’assurance. Lorsque ce dispositif a été mis en place au lendemain du séisme meurtrier de Boumerdès en 2003, les calamités agricoles n’étaient pas concernées, car l’objectif était de mettre, plus tard, en place un cadre spécifique pour les risques agricoles.

Les acteurs du marché ont travaillé au sein du Conseil national des assurances et formulé des propositions sous forme d’un projet de loi portant dispositif d’assurance des calamités agricoles – DACA.

Cependant, il n’a pas suivi toutes les étapes nécessaires pour devenir un texte de loi en bonne et due forme. Mais l’année dernière, ce projet a été repris sous forme de projet de loi et a été enrichi par de nouvelles propositions de la part des membres de l’UAR.

L’objectif consiste à mettre en place un système novateur permettant aux agriculteurs d’être indemnisés lorsqu’il y a un événement climatique extrême non pris en charge par les assurances, comme par exemple la sécheresse et la désertification qui ne sont pas assurables.

Le dispositif n’est pas basé sur l’obligation d’assurance, mais a la particularité d’encourager les agriculteurs à souscrire des contrats d’assurance et à promouvoir la prévention. Comment ? Grâce à la création d’un instrument ou agence de gestion des risques et surtout à l’intervention de l’Etat dans la prise en charge d’une partie de la prime d’assurance que l’agriculteur doit payer.

La nouveauté réside dans le fait que l’intervention de l’Etat s’effectue en amont, avant qu’il n’y ait catastrophe. Et en cas de catastrophe, l’indemnisation s’effectuera par la société d’assurance chez laquelle cet agriculteur a souscrit son contrat d’assurance.

Il est évident que l’Etat continuera à jouer son rôle, en aidant et en soutenant les sinistrés lorsque survient une calamité, mais sous forme de premiers secours, tandis qu’il reviendra aux sociétés d’assurance de s’occuper de la partie liée à l’indemnisation des dommages. C’est ce qui est pratiqué ailleurs, notamment dans les pays développés. Donc, dans le dispositif dont je parle, il ne s’agit pas d’assurance obligatoire. Pour les agriculteurs et les investisseurs qui activent dans le secteur agricole et agroalimentaire, lorsqu’ils souscrivent des contrats d’assurance, une partie de la prime d’assurance sera prise en charge par l’Etat.

Rendre l’assurance obligatoire pourrait évidemment faire l’objet d’un débat. Mais le dispositif que je viens d’évoquer devrait inciter les agriculteurs non assurés à souscrire à une assurance contre les calamités agricoles, d’abord pour bénéficier de prise en charge de la prime d’assurance et ensuite pour ne pas être exclu de l’indemnisation, qui se fera sur la base des contrats d’assurance souscrits.

Un travail de communication et de sensibilisation est nécessaire pour attirer un maximum d’agriculteurs.

Les compagnies nationales, publiques ou privées, comptent-elles investir dans la micro-assurance au profit des agriculteurs, comme cela avait été recommandé lors de la 49e conférence de l’Organisation des assurances africaines, accueillie par l’Algérie en 2023 ?

L’introduction de la micro-assurance a été effectivement l’une des recommandations de la Conférence de l’OAA d’Alger. Ce que nous avons proposé dans ce sens, c’est que la micro-assurance soit intégrée dans le dispositif législatif réglementaire, car dans les textes actuels, il n’existe aucune référence à un système d’assurance. Nous avons donc proposé d’introduire la micro-assurance même si certaines sociétés d’assurance la proposent. Mais il faut qu’elle soit réglementée pour développer ce système qui permet de généraliser la couverture d’assurance à ceux qui n’ont pas suffisamment de moyens pour souscrire une assurance. Donc il est tout à fait plausible que les compagnies nationales, qu’elles soient publiques ou privées, envisagent d’investir dans la micro-assurance au profit des agriculteurs.

A titre de rappel, cette conférence a mis en lumière l’importance croissante de la micro-assurance dans le contexte agricole, notamment en réponse aux défis posés par les changements climatiques.

Les avantages potentiels de la micro-assurance pour les agriculteurs sont multiples. En offrant des produits d’assurance adaptés aux besoins spécifiques des petits exploitants, les assureurs pourraient contribuer à atténuer les risques financiers liés aux aléas climatiques, aux maladies des cultures ou à d’autres événements imprévus. Cette approche pourrait également favoriser la durabilité et la résilience des exploitations agricoles, éléments cruciaux dans un contexte où les phénomènes climatiques extrêmes sont de plus en plus fréquents.

Les compagnies d’assurance pourraient voir dans l’investissement dans la micro-assurance une opportunité de développement durable, renforçant leur rôle dans la protection sociale et contribuant à la stabilité économique des régions à vocation agricole. Cependant, il est important de noter que la réussite de tels investissements dépendra de la conception de produits d’assurance appropriés, de mécanismes de distribution efficaces et d’une collaboration étroite avec les parties prenantes du secteur agricole.

L’implication des compagnies d’assurance, qu’elles soient publiques ou privées, dans la micro-assurance pourrait donc être un moyen stratégique de répondre aux besoins spécifiques des agriculteurs, tout en contribuant au développement global du secteur agricole en Algérie. Cependant, la mise en œuvre réussie de ces initiatives nécessitera vraisemblablement une coordination étroite avec les autorités publiques, les organisations agricoles et d’autres acteurs clés du secteur.

La particularité de la micro-assurance réside dans la distribution, c’est-à-dire le moyen de permettre sa souscription, et dans la simplicité des produits d’assurance. Elle se distingue par le paiement d’une somme modique, par une simplification des démarches et une distribution particulière qui passe, dans certains pays, par les coopératives agricoles ou encore les distributeurs de produits agricoles. Ce sont tous ces éléments qui doivent faire faire l’objet d’une réglementation.

L’Algérie a ratifié l’accord sur la Zone africaine de libre-échange. Les compagnies algériennes sont-elles prêtes pour pénétrer le marché africain, individuellement ou de manière collective ?

La ZLECAf a pour but de favoriser la création d’un marché africain unifié, facilitant ainsi la libre circulation des biens et des services à travers les frontières intérieures du continent. Elle vise également à renforcer la position commerciale de l’Afrique sur la scène mondiale.

La mise en œuvre efficace de l’accord nécessite que les États parties fassent preuve de volonté politique et disposent des capacités techniques requises.

Actuellement, il y a cette volonté affichée de notre pays à investir et pénétrer le marché africain, tous secteurs confondus. Les pouvoirs publics ont mis les moyens pour accompagner les investisseurs algériens et leur permettre de se déployer à l’international. C’est dans ce contexte que les banques algériennes ont déjà investi quelques pays africains.

Cet élan doit être aussi accompagné par d’autres secteurs d’activités. A mon avis, les sociétés d’assurance doivent se préparer aussi à se déployer sur le marché africain. A l’international, nous avons déjà des relations avec de nombreux partenaires dans l’assurance et la réassurance.

Mais la préparation consiste à élaborer une stratégie de déploiement à l’international, du moins pour les entreprises qui disposent de suffisamment d’expérience, de moyens, de compétences, de capacités financières et qui couvrent déjà le marché national.

A mon sens, dans cette stratégie de conquête du marché régional, continental ou international, il y a une étape à franchir et qui consiste à préparer les équipes, les former, ensuite cerner les contraintes et les difficultés en réalisant des études de marché adéquates.

L’élargissement de l’activité à l’étranger est une excellente occasion pour pénétrer de nouveaux marchés, améliorer le niveau de croissance et des performances, acquérir l’expertise à l’international tout en participant à la création de la richesse nationale.

Entretien réalisé par Lyes Menacer

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