Khaled Benamane, porte-parole de l’AmCham : «Les investissements existent et les américains veulent venir en Algérie»

Dans cet entretien, Khaled Benamane, membre du Board et porte-parole de la Chambre de commerce algéro-américaine (AmCham) aborde les opportunités d’investissement existantes en Algérie, estimant que «la mentalité économique de l’Algérien est en train de changer», outre le fait que la nouvelle législation encourage davantage les IDE.

L’AmCham vient de tenir son assemblée générale. Quel bilan moral en tirez-vous ?

C’était l’occasion de faire le point. Nous avons présenté le bilan moral et financier, qui a été discuté par les membres de l’assemblée générale. Il y a eu des questions et des clarifications. Nous avons pris en compte toutes les remarques qui ont été faites que nous allons prendre en charge.

Juste pour faire le lien avec la rencontre que nous avons organisée le 6 février dernier, nous avons estimé nécessaire de relancer l’AmCham et lui donner un nouveau souffle après une année 2022 plutôt terne an matière d’activités.

La décision de donner un souffle nouveau à notre organisation a été prise. Aujourd’hui, le Board compte 6 membres après le départ de 4 membres pour diverses raisons. Le but est de remplacer ces personnes assez rapidement. Ceci nous permettra de mettre définitivement en place un plan d’action pour 2023 et 2024.

Le mandat du bureau est aujourd’hui de trois ans. Le nôtre a commencé en janvier 2022 et s’achèvera en janvier 2025. Les deux années qui restent seront consacrés à la mise en place d’un plan d’action.

2022 a été l’année économique de l’Algérie. 2023 le sera aussi. Donc, à notre niveau, nous allons nous focaliser sur ça et nous concentrer sur l’organisation de rencontres, en invitant des personnalités de différentes institutions pour des thématiques que nous allons mettre en place.

Quel est actuellement le niveau de partenariat économique et commercial algéro-américain ?

Aujourd’hui, les Etats-Unis sont le septième partenaire commercial de l’Algérie dans le monde et l’Algérie est le troisième partenaire des Etats-Unis à l’échelle africaine. Les exportations américaines vers l’Algérie sont à peu près de 200 millions de dollars en 2022. Elles concernent des produits comme le plastique, les céréales et les machines.

Quant aux exportations algériennes vers les Etats-Unis, elles sont à hauteur de 3 milliards de dollars pour la même période. Elles concernent principalement les hydrocarbures et autres produits pétroliers. Le volume du commerce entre les deux pays a augmenté de 50% par rapport à 2021. Et selon les derniers chiffres disponibles des institutions financières mondiales, les Etats-Unis sont le premier investisseur direct étranger en Algérie en 2021 avec plus de 2 milliards de dollars et une propension de 28% des IDE.

Il y a des choses sur lesquelles nous sommes en train de travailler en tant qu’AmCham, avec la collaboration et l’assistance continues de l’ambassade américaine en Algérie. L’objectif est d’augmenter et de diversifier les échanges bilatéraux.

Qu’est-ce qui explique ce regain d’intérêt américain pour l’Algérie, après quelques années de flottement, marquées par une forte baisse des échanges dès 2014, due notamment à la baisse des prix de l’or noir suivie par la pandémie de la Covid-19 ?

Effectivement. Il y a deux choses qui sont très importantes et que nous rappelons chaque fois au niveau de l’AmCham et qui sont rappelées aussi au niveau de l’ambassade des Etats-Unis à Alger. Il y a eu la loi sur les hydrocarbures en 2019, qui a complètement changé de mode d’activité économique et d’investissement dans les hydrocarbures.

Puis, il y a eu la loi sur les investissements en 2022, saluée par l’ensemble des acteurs économiques, qui a apporté quelque chose de positif, parce que jusqu’en 2022, et cela le président de la République Abdelmadjid Tebboune l’a rappelé plusieurs fois, le cadre législatif en Algérie était instable.

Parmi les points positifs de cette loi, la facilitation accordée aux investisseurs étrangers pour le rapatriement des dividendes et surtout le guichet unique au niveau de l’AAPI. Concernant les investissements, il y avait une loi, mais sur le terrain, c’était autre chose, sans parler de certains décrets et textes d’application qui n’avaient pas vu le jour.

Finalement, la loi en elle-même ne suffisait pas. Ce qui est intéressant dans la nouvelle loi sur les investissements, qui a été suivie par les textes d’application, c’est que les choses sont claires et le texte est fait pour durer une dizaine d’année. Cela a été l’engagement du chef de l’Etat.

À notre niveau, nous sommes en train de voir ça. Il y a des entreprises et des investisseurs qui sont intéressés et qui veulent venir ici en Algérie. Ce sont donc ces deux détails qui font qu’aujourd’hui, il y a un regain d’intérêt des Etats-Unis pour l’Algérie. En résumé, il y a un environnement politico-économique favorable et encourageant.

Outre le secteur énergétique, quels sont les domaines d’activité où le partenariat est plus significatif ?

Il est vrai que, traditionnellement, les entreprises américaines activent dans les hydrocarbures, peut-être pour des raisons historiques. Mais dans le secteur énergétique aujourd’hui, il y a le conventionnel, à savoir exploration et extraction de gaz et de pétrole, et le renouvelable, comme le  solaire, l’éolien et l’hydraulique. Les entreprises américaines sont actives dans le cadre d’un partenariat avec Sonatrach.

Sur la partie énergie, en Algérie, 3% de la consommation vient du renouvelable. Juste pour rentrer dans le détail, le rayonnement solaire en Algérie est de 3.500 heures par année et une production estimée à 2.000 kw/h. Donc, l’Algérie compte parmi les pays les plus avantagés au monde avec un véritable potentiel.

Concernant l’éolien, nous avons près de 1400 km de côtes, avec des vitesses de vent supérieures à 40km/h. Pour ce qui est des projections de l’Algérie, la part du renouvelable dans la production de l’électricité devrait être de 27% d’ici à 2035. Avec les entreprises américaines et les autorités algériennes, nous sommes en train de travailler dessus. Je cite, à titre d’exemple, l’entreprise américaine Air Products, qui est en partenariat avec Sonatrach depuis 1991, via la société mixte Helios.

Cette dernière produit de l’hélium (hydrogène vert) qu’elle exporte vers l’Europe. Elle produit aussi de l’oxygène médical. On n’en parle peu surtout qu’en Algérie, car il n’y a pas encore de marché domestique pour la consommation de l’hydrogène vert. Mais c’est une énergie qui peut être produite et exploitée en Algérie.

Il y a des sociétés qui sont disposées à investir avec des perspectives d’exportation à la fois vers l’Europe et les pays africains. On parle beaucoup de la zone de libre-échange continentale africaine, et il existe un partenariat entre l’Algérie et l’Union européenne.

Du point de vue de l’hydrogène et de l’ammoniac, il y a beaucoup de potentialité pour l’exportation, en attendant d’avoir un marché intérieur pour ce type d’énergie. .

Et concernant les autres secteurs d’activité  ?

Il y a, entre autres, le secteur de l’industrie pharmaceutique. A l’AmCham, nous comptons six laboratoires américains qui activent en Algérie depuis plusieurs années et qui innovent, en s’appuyant, par ailleurs, sur des compétences algériennes.

Un point important qui mérite d’être soulevé . Depuis deux ans, le secteur pharmaceutique a un ministère qui lui est dédié. Le retour que nous avons eu de ces laboratoires est qu’il s’agissait pour eux d’une décision importante et qui a du bon sens.

Depuis 2020, il y a eu de nombreux nouveaux textes de loi qui offrent plus de clarté à ces investisseurs pour apporter davantage d’innovation et qui sont prêts à produire en Algérie. Il y a évidemment les technologies de l’information et de la communication qui sont à la base de la transformation digitale du pays, qui nécessitent, de notre point de vue, quelques ajustements règlementaires, et l’agriculture.

Aujourd’hui, la mentalité économique de l’Algérien est en train de changer. Nous espérons que cela va aller au plus vite. On parle du développement de beaucoup de secteurs. Les équipements existent. Les produits aussi. Les investissements existent et les gens veulent venir, sans compter les compétences algériennes existantes. Mais cela ne servira à rien si la mentalité ne va pas de pair.

La deuxième chose, c’est que nous avons un écosystème économique très développé. Je parle des moyens de communication (téléphone, internet, infrastructures routières, transports, compétences locales, etc.).

Nos universités forment des ingénieurs très qualifiés et dont les compétences sont reconnues de par le monde. Notre but à nous, c’est le maintien ici de ces compétences. Il y a aussi le prix très avantageux de l’énergie, de l’eau, sans oublier celui des télécommunications. Tout cela encourage les investisseurs à relocaliser en Algérie leurs usines basées ailleurs dans le monde, ce qui leur offrira un gain de temps et d’argent, mais aussi de diviser la distance par deux.

A partir de l’Algérie, vous avez un produit qui coûtera moins cher que celui fabriqué en Asie, par exemple, et avec des coûts de transport moindres. Evidemment, il y a des études qui doivent être faites en fonction des secteurs. Il y a les débouchés pour cette production, que ce soit en biens ou en services.

Outre le marché local, il y a les marchés maghrébin, africain, européen avec l’accord de partenariat avec l’Union européenne, celui du pourtour méditerranéen et celui du Moyen-Orient.

Par rapport à ce que vous dites, ne faudrait-il pas aussi prendre en considération l’aspect lié à la politique salariale pour capter ces compétences captées par l’étranger ou qui cherchent mieux ailleurs ?

Il est vrai qu’une compétence algérienne coûte moins que son homologue américaine. Effectivement, les salaires en Algérie sont très favorables et très avantageux.

Maintenant, la grille des salaires doit être discutée en entreprise. Et chaque entreprise a sa propre politique salariale, selon ses besoins, ses moyens, ses coûts et ses objectifs, par rapport au marché algérien, etc.

Mais ce que je peux assurer, c’est que les gens ne sont pas lésés. Ce qui est certain, c’est qu’une personne formée pour un travail est payée en conséquence. Il s’agit d’une question gagnant-gagnant entre l’employé et l’employeur.

Quels sont les investissements algériens aux Etats-Unis, que ce soit dans le cadre d’un investissement public ou privé ?

Sincèrement, je doute qu’il y ait des investissements aux Etats-Unis. Je sais par contre qu’il y a beaucoup d’entreprises algériennes qui sont partenaires de sociétés américaines et qui exportent leurs productions vers les Etats-Unis.

Il y a lieu de noter que le projet de loi en cours d’élaboration sur le partenariat public-privé en Algérie sera certainement un nouveau levier pour attirer les investisseurs américains en Algérie, car il leur permettra non seulement de ramener des financements, mais d’être directement associés dans les décisions en relation avec le projet (engineering, réalisation, méthodes de management, process de production, marketing…).

Le développement des start-up en Algérie occupe aujourd’hui une part importante dans le programme du gouvernement. Comment l’AmCham envisage-t-elle sa contribution ?

Sur les start-up, il y a eu des discussions en 2022, mais comme je l’ai souligné auparavant, on essaie de mettre en place un plan d’action pour 2023. Dans ce plan d’action, nous essaierons d’encourager les entreprises américaines présentes en Algérie à sous-traiter autant que  faire se peut le développement localement de quelques applications ou d’amélioration de leurs process, à travers des start-up algériennes, qu’ils soient spécifiques au marché algérien ou qui sont développés aux Etats-Unis.

A ce moment-là, on peut demander aux start-up américaines de délocaliser ces process des Etats-Unis vers l’Algérie. Cela permettra, entre autres, d’avoir des processus développés par des start-up algériennes et destinés au business algérien et, pourquoi pas, les exporter.

Vous avez parlé de l’argent investi en Algérie dans le cadre des IDE. Ce chiffre est appelé à augmenter dans les années à venir. Pourriez-vous dire vers quel segment d’activité économique et commercial  cet argent est allé ?

C’est clair. Ces IDE sont appelés à augmenter. A chaque fois qu’un responsable américain est en visite en Algérie, il est question d’augmentation ces investissements.

C’est un point sur lequel l’Administration Biden est en train de se focaliser. Il faudrait juste rappeler que lors du Sommet Etats-Unis-Afrique qui a eu lieu en décembre 2022 à Washington, le président Joe Biden a dit que finalement, l’approche économique des Etats-Unis vis-à-vis de l’Afrique va changer.

A partir de cette année, il y aura beaucoup de focus économiques sur l’Afrique, avec la visite de membres de l’Administration Biden, et le but ce n’est pas de donner plus d’argent aux pays africains, mais d’y investir.

D’autre part, le Premier ministre Aïmene Benabderrahamane, qui a représenté l’Algérie à ce Sommet, avait insisté sur la nouvelle législation concernant les investissements et réaffirmé que les portes de l’Algérie restent ouvertes à tous ceux qui souhaiteraient venir s’y installer et saisir les opportunités qui se présentent.

En tant qu’Algériens, nous avons beaucoup à apprendre des Etats-Unis, en termes de gestion des compétences, de formation, d’innovation et management, etc.

Ce qui est communément appelé Soft Skills. Quant aux segments d’activité attirant les IDE, il s’agit des énergies conventionnelles et renouvelables et le pharmaceutique.

Quelles sont les perspectives de développement économiques ? Un accord bilatéral de libre-échange entre les deux pays fait partie de l’agenda sur le court ou moyen terme ?

Il existe depuis 2001 un accord-cadre entres les USA et l’Algérie qui s’appelle TIFA (Trade and Investment Framework Agreement). C’est une plateforme de discussions qui permet de passer en revue l’état des relations économiques entre les deux pays, et convenir des moyens et des outils à mettre en place conjointement pour les renforcer.  

Lyes Menacer (Publié dans la revue DZEntreprise numéro 59 mars 2023)

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