Agsous Kemal, président de la BASTP: «La crise nous oblige à passer à l’offensive»

L’Algérie doit, en urgence et avec les moyens du bord, mettre en place une stratégie offensive pour relancer le secteur de la sous-traitance qui peine à se décrocher. C’est du moins ce que nous a déclaré Agsous Kemal, président de la Bourse algérienne de Sous-traitance et de Partenariat dans cette interview.  
  

Comment se porte le secteur de la sous-traitance en ces moments de
crise ?   
 

La soustraitance industrielle est la clé de voûte de tout processus industriel. C’est ainsi qu’on intègre les chaines de valeurs aux niveaux des différentes entreprises activant dans toutes les filières et secteurs. J’ajouterai que c’est un axe essentiel qu’il faudra développer à l’avenir parce qu’en termes d’objectifs fixés, on demeure encore loin des niveaux souhaités et des besoins nationaux. Depuis des années, on parle de nouvelles politiques industrielles en mesure de créer un développement industriel intégré qui permettra de sortir de la dépendance de la rente pétrolière, mais il s’agit, en réalité de discours sans suite pour l’instant. En réalité, crise ou pas, les choses n’ont pas évolué.  

Pourquoi ce constat sévère ? 

On ne peut pas parler de sous-traitance, en ignorant l’environnement qu’il y a autour. C’est-à-dire les données économiques et industrielles dans le pays. L’activité industrielle, qui détermine la sous-traitance industrielle, représente actuellement 5% du PIB algérien. Il y a là un constat de recul problématique et inquiétant par rapport à ce qu’on a connu il y a une quarantaine d’années. Dans les années 1980, l’activité industrielle représentait 20% de PIB. 

Ces deux ratios sont à eux seuls très parlants. Ils illustrent une réalité décrite par tous les observateurs du champ industriel et entrepreneurial en Algérie mais contre laquelle il n’y a pas encore le mouvement de rattrapage espéré : pour ainsi dire, il y a malheureusement, depuis une quarantaine d’années, un processus de désindustrialisation et de désintégration continu. Il s’agit de ne pas ignorer cette donne quand on aborde le segment de la sous-traitance dont la part industrielle reste très faible. Elle est de l’ordre de 10%. 


Quelles sont, selon vous, les raisons de cette
situation ? 

 Aujourd’hui, nous sommes dans une situation de marginalité de la sous-traitance qu’on mesure à travers les 1500 entreprises qui agissent dans cette filière. Pour la développer, il est impératif de développer l’activité industrielle. Les grandes entreprises publiques comme la SNVI, Sonatrach et Sonelgaz sont de grands réservoirs pour la sous-traitance. Ce sont elles qui sont en situation de tirer l’activité industrielle vers le haut dans les domaines qui sont les leurs ainsi que les domaines annexes.

Ce qui pose cependant problème est que ces donneurs d’ordres relèvent du secteur public alors que les PME /PMI de sous-traitance sont dans le secteur privé. Les connexions d’affaires et de contrats entre les deux parties ne sont souvent pas faciles à établir même si elles existent et font travailler de nombreux opérateurs sous-traitants. 

Qu’en est-il des autres grandes entreprises
publiques ?   

Actuellement, les grandes entreprises publiques ne travaillent qu’à 45% de leurs capacités. C’est très insuffisant. Il y a donc un travail à faire dans le secteur de l’industrie publique en se posant les bonnes questions : Pourquoi l’entreprise publique n’est-elle pas performante ? Pourquoi, elle n’exporte
pas ?  Pourquoi, importe-t-elle 70% de ses inputs ?  En attendant de trouver les réponses à ces interrogations, nous pouvons exploiter le potentiel existant en matière de sous-traitance pour l’ériger en véritable bassin producteur, sachant qu’une partie non négligeable des intrants recherchés par nos entreprises sont en mesure d’être fabriqués en Algérie.

Par ailleurs, il s’agit de lever l’hypothèque qui pèse sur l’acte de gestion. Malgré l’existence d’une loi qui stipule que le gestionnaire ne peut être poursuivi sans une plainte du Conseil d’administration, la menace demeure permanente…Concrètement, les dirigeants des entreprises publiques hésitent à établir des relations industrielles avec le secteur privé. Une simple lettre anonyme peut les faire les inquiéter. Cela annihile toute possibilité de créativité chez les entrepreneurs.  

 On parle beaucoup de renforcement du partenariat public/ privé. Cela vous parait-il une solution ? 

Je ne le dirai pas ainsi. Il faut juste débureaucratiser l’économie nationale. Il y a des normes au niveau mondial à partir desquelles il faut fonctionner. Aux Etats Unis, par exemple, une loi dit clairement que 20% de la commande publique est réservée aux PME. C’est une bonne idée à prendre à mon avis. Pour faire de la performance, il faut de l’autonomie aussi. Je dis cela parce qu’il existe également un vrai problème de gouvernance.

 Il faut assurer l’autonomie de l’entreprise, dans ses décisions de gestion et de management. Quand on examine les textes, il y a des évolutions remarquables mais elles sont souvent sapées par d’autres considérations comme le cas du code des procédures d’approvisionnement dans les entreprises qui sont plus sévères que celles du code du marché public. Dans tous les pays du monde, on admet que l’industrie manufacturière entraine le reste de l’économie.

C’est pour cela qu’il est indispensable de voir de près ce qui ne va pas dans cette industrie et y remédier. Pour le cas des PME, il est important de les mettre à niveau également. Un développement qualitatif à faire pour répondre aux nouvelles exigences du marché national est nécessaire.

Pour ce qui est de l’activité des PME sous-traitantes, quels sont les écueils auxquels elle est confrontée ? Et comment faire pour rectifier le tir ? 

Il faut arriver à ce que le secteur de la sous-traitance soit en mesure d’offrir les produits qu’on lui demande en matière de quantité et de qualité, et que les mécanismes, qui lient les deux secteurs ( industrie et sous-traitance) soient systématisés. Aujourd’hui, l’Etat prévoit un certain nombre de mécanismes incitatifs fiscaux et parafiscaux ; à l’instar du décret exécutif n°20/311 du 15/11/2020 relatif à l’exemption des droits de douane et de la TVA, des composants et matières premières, importés ou acquis localement par les sous-traitants, dans le cadre de leurs activités.

Nous espérons que ce texte intéressant sera appliqué dans les meilleurs délais et ne pas connaitre le même sort que le décret précédant (publié en 2017) portant sur le même objet et qui n’a jamais connu un début d’exécution.

Il faut qu’il y ait une impulsion au plus haut niveau des pouvoirs publics pour leur mise en œuvre notamment en créant un climat favorable au développement de relations durables et de confiance entre les acteurs de l’industrie nationale indépendamment des statuts juridiques des uns et des autres.

Vous travaillez de concert avec le Conseil pour la promotion de la PME. Qu’en est-il sorti ?   

En partenariat avec leConseil national consultatif pour la promotion de la PME, nous avons défini un plan d’action sous-traitance pour 2021. Un des aspects importants, que nous avons proposé, est de mettre d’abord à plat tous les textes qui existent, analyser le niveau de leur exécution et, éventuellement, proposer d’autres textes qui tiendraient compte des conjonctures actuelles.    


Nous avons aussi insisté sur l’implication de l’Agence nationale de développement de la PMEI(ANDPMEI), qui a beaucoup de moyens pour la relance du processus de mise à niveau et la réalisation d’une cartographie de PME qui activent dans la sous-traitance.


Pensez-vous que la conjoncture économique actuelle du pays peut être est une occasion pour faire rebondir les PME, et espérer réellement à une intégration plus efficace ?   

Cette crise nous oblige à repenser, en profondeur, le schéma du développement économique national en général et celui de l’industrie en particulier. Il est temps de passer à une économie productive. Il faut d’abord, à mon sens, voir ce qui peut être fait avec ce que nous avons comme moyens pour rationaliser l’ensemble de l’activité industrielle.

Et pour cela, il faut une organisation et restructurer différemment. Comme je l’ai déjà cité, les groupes industriels doivent être restructurés pour véritablement optimiser les logiques de filières et éviter ainsi l’hypertrophie des structures de nos entreprises (voir le cas des groupes industriels disposant de 50 filiales et plus) qui sont contraires à l’exigence de flexibilité et d’agilité qu’impose aujourd’hui un marché national et mondial de plus en plus aléatoire.

 L’’intégration nationale permettra au pays d’économiser nos devises et surtout, à moyen et long terme, de donner à l’Algérie une base technologique solide. De plus, le processus d’accumulation technologique ainsi enclenché va servir aux PME de s’adapter aux nouvelles donnes du marché. En d’autres termes, l’intégration nationale créera un développement continu de techniques et de technologies au niveau national. Pour développer la sous-traitance industrielle, il faut une stratégie offensive sur les secteurs arrivés à maturité.

Tous les groupes industriels publics y compris Sonatrach et Sonelgaz, les énergies renouvelables, peuvent délocaliser une partie de leur production au profit des PME.  C’est ce qu’on peut faire immédiatement sans aucun effort. Il faut juste être organisé.

Le secteur de l’automobile, que l’Etat envisage de relancer, offre également de grandes opportunités au secteur de la sous-traitance   

L’industrie automobile, qui peut induire une forte activité de sous-traitance, est à envisager dans le cadre d’une stratégie industrielle à moyen et long terme. Dans ce secteur, il y a lieu pour les pouvoirs publics de développer une stratégie d’opportunité, compte tenu des nombreux aléas auxquels est confrontée cette activité tant au niveau national qu’à celui de l’international.

La stratégie d’opportunité consistera à créer progressivement l’écosystème industriel favorable au développement d’une industrie automobile intégrée et en phase avec les évolutions technologiques et les exigences nouvelles d’un développement durable. C’est dire la nécessité de développer ce secteur sur un horizon de 5 à 10 ans.

L’accumulation technologique au niveau des PME de sous-traitance grâce à leur arrimage aux secteurs arrivés à maturité va permettre à ces PME une migration technologique plus aisée vers le secteur de l’automobile exigeant aux plans des normes techniques et de sécurité.

Interview réalisée par Nacima Benarab   

Publié dans la revue DZEntreprise numéro 41

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