Maroquinerie d’Art : le SOS de Boulacheb Mostapha

Un outillage de base, quelques fardeaux  de cuir et toutes sortes d’objets posés en vrac, négligemment,  dans le petit atelier de Boulacheb Mostapha, fils de la Casbah et artisan du cuir, pratiquant la maroquinerie depuis son plus jeune âge.

Un métier auquel il s’accroche, vaille que vaille, en dépit de toutes les contraintes. Heureusement qu’il y a la Casbah, sa ville de tous les jours. Son atelier est situé  dans la basse Casbah à côté du musée des arts et des traditions populaires, «Khedaoudj El Amia». Un lieu où il évolue depuis des décennies. Notre artisan nous accueille dans son «  humble demeure », comme il tient à le préciser d’emblée, un peu comme pour s’excuser de l’état des lieux de cette Casbah qu’il voit dépérir chaque jour un peu plus.

Il façonne  à la main des sacs, porte- monnaies, ceintures  et  bracelets  en cuir, comme cela se faisait dans le temps dans cette cité qui crie au secours. Une cité dont il nous raconte le quotidien, avant de  raconter son histoire avec ce métier en déperdition. Une réalité qui le chagrine d’autant que la Casbah ne compte plus ses jeunes chômeurs, garçons et filles confondus.  «Comme tous les artisans de la Casbah, notre savoir-faire, nous l’avons acquis comme un héritage. En ce qui me concerne, j’ai longtemps observé mon père et mon grand-père travailler le cuir, je les aidais après l’école sans pour autant songer à en faire mon métier », confie notre hôte  qui  raconte  que le destin en a décidé autrement puisqu’il exerce aujourd’hui ce métier qu’il a reçu en héritage.

Boulacheb Mostapha fait partie de ces artisans qui ont connu une reconversion professionnelle, «Je me suis consacré au travail du cuir après dix ans passés dans l’enseignement. Ayant souffert des contraintes de ce métier, mon père n’approuvait pas ma décision. Une décision  que j’ai prise en toute conscience  car j’avais des projets pour donner plus de visibilité aux différents travaux artisanaux propres à la Casbah».

Des ambitions mais beaucoup de contraintes

Et la maroquinerie  traditionnelle, artisanale, un métier que l’on pensait totalement  disparue,  renaît entre les mains de Boulacheb Mostapha.  «Nous utilisons principalement la basane, une peau de mouton tannée de bonne qualité, pour façonner la façade du sac et d’autres parties. Pour « acheminer »  un sac, il nous faut une  grande quantité jusqu’à 4  bottes de cuir car celle-ci contient souvent des défauts et on en extrait qu’une petite quantité. Les moules me servent à tracer les différentes parties du sac. Il faut ensuite les découper à l’aide de ciseaux pour enfin les assembler. La façade, je la décore avec des morceaux de soie. Les déchets sont récupérés et recollés, je les utilise pour les parties intérieures du sac» pour des finitions parfaites et un travail de haute qualité qui se traduit par des années de pratique. Et c’est aujourd’hui l’une des rares satisfactions  de cet enseignant qui a déserté les classes, la tête pleine de projets.

Boulacheb Mostapha avait, il y a une trentaine d’années,  proposé au ministère de l’artisanat de mettre à la disposition des artisans une des vieilles maisons de la Casbah où chacun aurait occupé une pièce pour en faire son atelier. «Un lieu où se retrouvent dinandier, menuisier, tourneur de cuivre exerçant ensemble leur métier dans une ambiance créative où les visiteurs peuvent se rendre et prendre connaissance de ce patrimoine qu’on a fait le choix d’honorer malgré les difficultés». Sa doléance est restée lettre morte.

DZE-Sac

Et même si, depuis quelques temps, une maison de l’Artisanat a vu le jour, notamment celle de Oued Koreiche , l’artisan se désole qu’une maison similaire ne soit pas installée   au cœur de la Casbah qui devrait être la priorité des priorités tant cette cité est chargé d’art et d’histoire.  «Je ne remets pas en cause le talent des artisans qui occupent ce lieu mais la Casbah est un endroit emblématique et l’artisanat  fait partie de la généalogie de chaque casbadji, elle devrait donc être privilégiée à celui de Oued Koreich dont la réputation est connue de tous », se désole l’artiste avant de revenir sur la déperdition de cet art ancestral qu’est l’art du cuir et que d’autres pays dont le Maroc et la Tunisie ont su sauvegarder.

C’est le cuir qui manque le plus.

«Dans quelques années, notre métier n’existera plus car il n’y a plus de relève, le manque de la matière première est alarmant, ce qui nous contraint à ne pas prendre d’apprentis». Notre artisan se plaint d’une situation dont il souffre depuis des années, il nous confie que l’usine de Batna produit toutes sortes de cuir et de bonne qualité mais 70% de sa production est destinée à l’exportation, le reste revient principalement aux producteurs de textile et l’artisan ne figure pas parmi les priorités de ces fabricants.  «Pour régler ce problème qui nous pénalise, nous avons déposé une requête au  niveau du ministère de la culture pour que ces producteurs de cuir consacrent un quota pour les artisans, en vain ! »

Aujourd’hui Boulacheb Mostapha n’assure plus les commandes des particuliers car il ne dispose pas  de la matière première. «Des particuliers me sollicitent surtout durant la période estivale, ils passent d’importantes commandes car ce sont des produits qui se vendent facilement mais je ne peux toutes les prendre car je n‘ai pas le cuir nécessaire ».

L’artisanat pour faire revivre la Casbah

Malgré cette situation décourageante, Boulacheb Mostapha  parle du bonheur que lui procure  son métier. « L’artisanat d’une façon générale n’est pas une impasse dans laquelle on atterrit suite à un échec scolaire, mais un savoir, un savoir-faire, ancré dans nos mains et  imprégné d’une tradition millénaire », soutient notre artisan qui plaide pour une stratégie nationale pour « anoblir » le métier manuel. Car il estime que ce n’est que comme cela que l’on arrivera à le faire aimer à une jeunesse en mal de repères.

Et la  jeunesse  casabadji, du nom de cette médina, classée patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO depuis 1992, évolue sans même jeter un regard sur le travail des artisans de cette cité que d’aucuns rêvent de voir grouiller de touristes du monde entier. La Casbah est nostalgique d’une époque où les visiteurs se déversaient  dans  ses rues, émerveillés par son architecture et le doigté de ses artisans.         L.A.

Article paru dans DZENTREPRISE numéro 23

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